Le 2 12 2000
Cher Pom,
(Et à Caméléonne et Toto )
Il faut que je reprécise des choses car tu as une image inexacte de moi (merci pour ton mot, vraiment, il me fait chaud au cœur !)
En quittant ma famille, j’ai donc cessé de dormir et ai eu de l’eczéma, un médecin m’a donné un traitement contre la dépression et de la cortisone. En 6 mois j’avais pris 30 kilos, ce qui évidemment m’a démontée encore plus. Depuis, je suis redescendue à 72 kilos mais j’ai une vision de mon corps encore plus terrible qu’avant car à présent je me trouve énorme (à 48 kilos, je me trouvais obèse, ce qui n’était pas logique, masi c’étaient les mots de mon père, alors….)
J’ai un petit ami, et il m’aime beaucoup, je crois, il connaît mon histoire et moi la sienne car je refuse les rapports qui reposent sur des non-dits j’ai un besoin maladif de savoir QUI est l’autre que j’aime.
J’ai été fiancée 5 ans mais j’ai quitté ce fiancé car j’avais fait un transfert paternel sur lui et je le poussais à être violent avec moi, j’étais violente avec lui. Ensuite j’ai aidé un ami que j’avais depuis 6 ans à monter sa boîte et il m’a exploitée. Je me suis occupée d’adolescentes puis d’enfants pendant cinq ans avant cela mais j’avais dû quitter mon travail pour suivre mon fiancé dans une autre région de la France.
En ce moment je suis en arrêt maladie suite à mes deux tentatives de suicide et ma psy m’a poussé, heureusement, à attaquer en justice mon patron, car selon elle il est important que je fasse valoir mes droits. J’ai enfin entamé une procédure, mais je ne suis pas convaincue d’agir avec justice, après tout je suis autant responsable que cer « ami », je me suis laissée faire, bref, mais je travaille sur ce point !!!
Je supporte mes nuits car je ne veux plus les faire supporter à qui que ce soit. Peu à peu, ça partira, comment, c’est bien là mon problème, car il y a encore tellement de mystères par rapport aux nuits de mon enfance, que cela m’angoisse beaucoup. J’ai compris que j’étais en état de veille la nuit, et que c’était pour cela que je me réveillais sans cesse (je m’endors souvent pour une demi-heure, parfois une heure, le moindre bruit me réveille, une infirmière m’a expliqué un jour que je montais la garde. En fait c’est ancré en moi, petite, j’étais suspendue aux bruits de la maison, de la porte du sous-sol, des craquements de l’escalier, mon petit-frère et moi étions terrorisés. Tous les deux nous avons vu le même « fantôme » près de nos lits et nous retenions nos respirations, etc, etc, en fait il s’agissait probablement de mon père qui nous regardait la nuit. Il est insomniaque lui aussi. J’ai vécu aussi des nuits où je ne savais plus où j’étais, c’est arrivé très souvent. Tout à coup, il y avait un mur là où il ne pouvait pas y en avoir, j’avais la sensation d’avoir été déplacée. Mais ma psy dit que ces angoisses d’enfant sont normales.
Les questions qui m’angoissent c’est toujours de savoir si oui on non je suis méchante au fond de moi, si c’est vrai que je n’ai pas de cœur et que je suis une hypocrite calculatrice et mauvaise, je cherche derrière mes actions les motivations mauvaises qui pourraient en être à l’origine, je veux toujours persuader quelqu’un qui me fait un compliment qu’il a tort jusqu’à le faire douter de ce que je suis et même de ce qu’il pense de moi….
D’autres questions m’angoissent encore plus mon père a été accusé par une de ses sœurs de pédophilie et d’homosexualité. Une autre de ses sœurs m’a avoué en 1999 qu’effectivement il avait eu des problèmes sur son lieu de travail et avec des parents d’élèves, et que dans sa propre famille ils avaient toujours pensé qu’il était homosexuel (ce qui en soi ne me dérange pas ) Sa sœur m’a aussi dit qu’elle était la seule à avoir pitié de nous (je m’en suis pris plein la figure ce jour-là !) parce que si le reste de la famille nous recevait si peu c’était à cause de mon père, et parce que selon elle, nous étions mal vêtus, sales, etc. Humiliations supplémentaires. Elle m’a encore dit que si la famille ne venait jamais chez nous c’était parce que ce n’était pas propre (ben tiens, des enfants de 5 et 6 ans qui font le ménage, forcément, difficile d’être super bons en ménage !!!!) et à cause du comportement imprévisible de mon père
Il y a des tas de questions qui m’angoissent sans cesse. Et auxquelles je préfère ne pas avoir de réponses, mais savoir que sa propre famille pense cela en secret et que tous m’appellent « folle », ça me révolte. Je ne peux même pas parler de ce que ces deux sœurs m’ont dit parce qu’elles savent que mon séjour en hôpital psychiatrique confirme ma « folie ». Qu’elles pourront toujours dire « vous connaissez Valérie, elle est folle, la preuve, n’a-t-elle pas séjourné en HP ) Pour l’HP, c’est obligatoire en France quand on fait une TS, je n’avais pas le choix. Pour ma première TS, je n’y suis pas allée car mon médecin généraliste a fait croire que c’était une erreur de ma part dans le dosage puis il m’a orientée vers une psychiatre. C’est cette psychiatre que j’ai à présent.
Mon père lui-même m’a fait cette réputation de folle auprès de sa famille, prévenant ainsi tout ce que je pourrais dire, du coup je me suis toujours tue. Comme j’avais une conduite incohérente pour des gens raisonnables (du mal à suivre mes études, la rupture avec mon fiancée, 11 déménagements en 5 ans pour suivre ce dernier jusqu’à notre rupture, etc. ), cela ne faisait qu’appuyer les arguments de mon père.
Non, ce n’est pas une secte, mais un Clan, je dirais. Mon père comme seul dictateur. Cela dit je ne sais pas où il défoule sa rage et sa colère à présent.
Je n’ai pas de haine ni de colère. De la tristesse et de la haine envers moi-même surtout. Non je n’en veux à personne et je ne peux pas m’autoriser à en vouloir à quelqu’un. Je me sens responsable et coupable. J’ai fait des choix, je n’ai à m’en prendre qu’à moi, cela je le sais. Je sais intellectuellement mais pas émotionnellement que je dois ressentir de la colère envers mon père et même ma mère car sa conduite est aussi ignoble que celle de mon père.
Et puis surtout j’ai reçu une éducation qui anéantissait toutes les émotions, ou qui les pervertissait. C’est trop trop trop long à écrire, !!!!!!!!!
Un petit exercice effectué avec mon petit-frère : afin d’être imperméables à la douleur, nous nous mordions par exemple, très très fort pour nous habituer, et ne plus rien ressentir. Les enfants ont des « trucs » magiques, toujours. Une fois j’ai mordu mon frère jusqu’au sang, il n’a rien dit, pas une larme. Moi en revanche la douleur physique je n’ai jamais su m’y habituer mais j’ai été mille fois moins battue que mon frère. Mon frère me disait toujours de ne pas écouter mon père « laisse pisser » me disait-il. Mais moi chaque mot, chaque coup a été imprimé en moi, que ce soit ceux que j’ai reçus ou ceux que j’ai vu mon petit – frère recevoir, ou entendu car parfois, on pouvait entendre depuis nos chambres les coups retentirs sur le corps d’un de mes frères un étage plus bas. J’avoue que quand il s’agissait de mon grand frère jen’éprouvais pas grand-chose car il était parfois d’une méchanceté et d’une perversité aussi cruelles que mon père et lorsque nous n’avions pas affaire à mon père, c’était lui qui prenait le relais. Mais j’ai compris qu’il ne faisait que répéter ce qu’il avait vu, ce qu’il croyait normal.
Donc, j’ai un système de ressenti difficile à cerner : lorsque nous étions malades mon père refusait de le croire et nous interdisait d’exprimer la moindre douleur. Il nous soignait lui-même, et j’ai eu de la chance, j’ai été très peu malade dans mon enfance et adolescence (il paraît que je ne me le permettais pas c’est un système d’auto protection), en revanche dès que je suis partie de la maison je suis tombée régulièrement malade jusqu’à il y a deux ans.
Les seules personnes qui étaient tout le temps malades c’étaient mon père et mon frère (le grand) ma mère nous faisait très peur en nous disant à tous les deux de ne pas les énerver, car cela pouvait les tuer (mon père avait de l’hypertension, mon grand frère de l’asthme) et à chaque fois que mon père se mettait dans des colères violentes, elle était plus terrorisée par sa possible mort que par tout autre chose. Il exerçait un énorme chantage sur ce plan là comme mon grand frère car enfant il avait failli mourir. Je n’ai pas de sœur.
Voilà. Vos lettres à tous me font du bien, et j’espère qu’en écrivant un peu plus je me libère un peu.
Mon but n’est pas d’attaquer mon père ni de l’accabler de reproches. Je suis sûre qu’il ne savait pas ce qu’il faisait et qu’il était convaincu de bien faire, ou du moins d’être dans son bon droit (même si cela ne l’excuse pas), la lettre que j’ai écrite il y a 6 ou 7 ans pour lui demander de me laisser tranquille a fait suffisamment souffrir ma mère et mon petit frère. J’ai fait assez de mal en écrivant cette lettre (et pourtant j’ai pris mille précautions pour ne pas les blesser), et je crois qu’il vaut mieux peut-être pour ma mère et mon frère que j’en reste là. J’ai le droit cependant de tenter d’en parler, de m’en sortir, et ce droit là, je veux le gagner toute seule sans attaquer Nommément mon père. Mon ex fiancé a commis l’erreur de dire à mon grand frère que j’étais dans un sale état et que c’était dû à mon enfance (il était là quand ma tante a accusé mon père de pédophilie) du coup il l’a redit à mes parents et mon petit frère m’a téléphoné pour m’injurier, et je me suis rendu compte qu’il avait complètement changé, qu’il était convaincu que je mentais. A présent je n’ai qu’un seul témoin pour accréditer tout cela, c’est mon ex fiancé qui a entendu cette tante, qui m’a vue souffrir, et qui a entendu mon petit frère l’année de mes 20ans et qui à cette époque, avait les mêmes souvenirs que moi.
Longtemps je me suis demandé si je n’étais pas vraiment folle ou trop sensible, je continue de me demander si après tout il n’a pas raison si je n’ai pas mal interprété, si au fond je ne suis pas la méchante femme qu’ils m’accusent d’être.
Où est la vérité ? Dans ce que je ressens. Mais qu’est-ce que je ressens vraiment ? A part la haine de moi, de la peur, du dégoût de moi. Pas toujours, pas sans cesse. Mais dès que je cherche des réponses, je me hais. Dès que j’écris comme je le fais, j’ai envie de laisser tomber, je tremble de tous mes membres, j’ai les larmes bloquées dans mon corps, j’ai envie de fuir, de dire stop.
J’ai l’impression alors d’entendre les moqueries de mon père et ce qu’il dirait de ma démarche ce serait « tu te complais dans ton malheur », « tu cherches à attirer la pitié », « tu veux faire pleurer dans les chaumières », etc……..
Mais je pense vraiment que ma démarche va m’aider. Cela fera son chemin, et vos idées, vos pensées, sont d’un grand soutien, le fait d’être crue aussi est important. J’avais peur des moqueries ou des réactions violentes, et je ne reçois que de bonnes choses.
C’est en essayant que j’apprends à reconnaître aussi la légitimité de ma souffrance, même si cette légitimité je la trouve plus dans vos mots qu’en moi-même.
Mais, Toto, j’ai essayé tout cela, les livres, la musique, partir en promenade, le cinéma, ce ne sont que des fuites et au bout du chemin, il y a toujours moi et ma haine de moi et pas la haine du reste du monde !!!
J’ai l’impression parfois de trouver une solution mais elle m’échappe et finalement je me retrouve toujours devant un gouffre. Tout finit par s’évanouir, je ne parviens pas à me maintenir à flots. Je commence souvent beaucoup de choses mais je ne finis jamais rien. Je voulais devenir écrivain, j’écris depuis l’enfance mais ces cahiers ont été brûlés par mon père. J’ai commencé des romans, et je les juge avec une dureté et un cynisme que vousn’imaginez pas, j’y mets encore les mots de mon père, son jugement sur ma bêtise, mon manque d’imagination, de créativité ou de style, d’élégance, de culture, etc. Bref, tout ce que je fais reste à l’état d’embryon. Je ne peux finir car j’ai un regard négatif sur tout ce que je fais.
J’ai aussi essayé de me dire que j’étais quelqu’un de bien, ça ne dure pas longtemps. Mais je m’y exercerai !!!
Vos lettres à tous m’ont fait pleurer, elles ont touché très loin en moi, et je ne vous en remercierai jamais assez.
Ce que je voudrais c’est pouvoir commencer quelque chose et aller jusqu’au bout, la terminer. Il me faut un effort de volonté terrible et je n’y parviens pas encore.
Bon, cette fois, je vous laisse et vous dit à bientôt, merci de m’écrire, de me soutenir.