Quelques images
Assurément c'est bien dommage de ne pas avoir ton message original. Les processus de transmission ne sont pas spécialement fiables, et j'ai personnellement évité la perte de plus d'un message avec la petite précaution suivante: sélectionne l'ensemble de celui ci dans la petite boite où tu le rédiges puis fait "Edition Copier" (ou CTRL C) si tu es sous Window, tout cela avant de cliquer sur le "Send"... Si jamais le message ne passe pas, tu n'auras qu'à faire un "Edition Coller" pour le réexpédier...
Bon, passons au reste.
Je suis heureux de t'avoir un peu aidée, mais j'ai beaucoup hésité avant de te répondre une nouvelle fois. Principalement parce que, hélas, il n'y a pas de "truc" susceptible de s'appliquer à tout le monde et surtout parce que, malheureusement aussi, il n'y a pas de miracle en la matière. C'est ce que j'essayais de te dire in fine de mon premier message.
Attention, maintenant: je ne voudrais pas que tu interprètes mal les paroles qui vont suivre et qui reflètent le fond de ma pensée:
D'une certaine manière, on ne "s'en tire" pas; on ne "s'en sort" pas; car rien ne peut faire que l'on a pas vécu ce que l'on a vécu. MAIS oui on peut cicatriser et guérir. ET, encore mieux, on peut tirer parti de l'expérience qu'on a traversée.
Ainsi, par exemple, vis à vis de mes propres enfants, je suis persuadé de pouvoir mieux les comprendre et leur apporter davantage que quelqu'un qui aurait eu une enfance "sans histoires"; car même si je suis un adulte aujourd'hui, contrairement à la plupart des adultes, je n'ai pas oublié ni renié l'enfant en moi, qui est toujours là, bien présent, bien vivant et bien sensible; je sais ce que et comment pense un enfant, ce qu'il dit, ce qu'il ne dit pas et pourquoi. Ca ne m'empêche pas de jouer mon rôle de parent et d'adulte, au contraire. Vois-tu ce que je veux dire ?
Alors maintenant la grande question, et la plus difficile: comment ai-je fait pour en arriver là ?
Comme je te l'ai dit, dans ce genre de situations, chaque issue est personnelle; de plus, je n'ai pas suivi de "stratégie" consciente qu'il me serait facile de présenter. Je n'ai été guidé que par mon instinct, avec la chance qu'il se soit révélé payant. Je veux bien te dire deux mots de mon parcours, on ne sait jamais, peut-être y puiseras-tu quelque chose d'utile.
Vers l'âge de 8 ans j'ai touché le fond: j'étais anéanti, un fantôme de gamin, sans goût pour rien, amorphe, atone, vidé, fini, détruit... sauf peut-être une dernière étincelle à l'intérieur qui a décidé, mais tout à fait inconsciemment, de se révolter et de rejeter avec d'autant plus de force tout ce qui n'était pas moi.
C'était excessif, bien entendu, mais c'était la seule chose à faire à l'époque. Je vais tenter de parler par images pour rendre les choses plus amusantes.
Vois-tu, quelque part tu parles "d'enrayer le système". Quand j'ai lu cela, je me suis vu, moi, enfant, sur un plan incliné, essayant de retenir la grosse sphère de pierre qui va l'écraser s'il la laisse descendre, entraînée par sa masse. Au sens de la Physique, l'enfant, le plan incliné et la sphère forment un système complet. Il n'y a pas d'autre moyen pour l'enfant "d'enrayer le système" que, s'il en est capable, d'appliquer une force égale mais opposée à celle qu'exerce la sphère le long du plan incliné. Moyennant quoi il passe toute sa vie dans cette position sans pouvoir rien faire d'autre.
Bien sûr, il a d'autres options. Par exemple, il peut laisser la sphère l'écraser, après quoi il n'a plus besoin "d'enrayer le système" qui, pour lui, disparaît. L'ennui, c'est qu'il disparaît aussi par la même occasion et qu'il ne sait pas trop dans quel nouveau "système" il va se retrouver, si même cela est possible !
Mettons que moi j'ai sauté de côté, hors du plan incliné: j'ai laissé la sphère descendre mais je n'étais plus devant elle. Et je me suis retrouvé seul et libre. Apparemment hors du système. Sans système apparent.
Aussitôt après, et pendant longtemps, j'ai été un révolté farouche: j'ai dynamité avec rage, un peu par précaution et beaucoup par vengeance, tout ce qui ressemblait de près ou de loin à des sphères (des cubes, des parallélépipèdes... voire des cônes) ou à des plans, inclinés ou non (Il ne restait plus grand chose...). On m'évitait soigneusement, parce qu'un déjanté qui dynamite systématiquement le décor... c'est bruyant et pas facile à vivre... Comme je suis avant tout un artiste et que j'éprouvais, en moi, le besoin de créer des choses, moi qui passais mon temps à les détruire (ce qui n'arrangeait pas ma schizophrénie naturelle...), je récupérais quelquefois des débris pour sculpter dessus. Mais tout ce que je créeais me rappelait ce que je voulais détruire, alors je laissais tomber à chaque fois.
Un jour j'ai réalisé avec surprise que je me trouvais dans un nouveau système, peut-être moins dangereux que celui dans lequel j'aurais pu être écrasé, mais tout aussi vicieux: dans la mesure où mes destructions et mes rejets étaient systématiques, m'empêchaient de faire quoi ce que fût d'autre, c'était exactement comme si j'étais sur un nouveau plan incliné, avec une nouvelle sphère dans le dos qui me poussait à avancer à son gré à elle. Mais là le système m'était entièrement intérieur... Comment m'en échapper ? (Tu n'apprécierais pas que j'arrête la parabole ici, n'est-ce pas ? ;) )
Je crois que j'étais un peu fatigué, à ce moment là; et puis mes réserves de dynamite s'épuisaient, et j'avais pris conscience que je n'en aurais jamais assez pour tout faire sauter. Et puis aussi que je n'aimais pas tellement ça, au fond. Et puis encore que j'en avais marre de ne voir que des débris partout autour de moi alors que justement j'étais fait pour créer, et des choses bien plus belles que ce que j'avais détruit. Disons que ça a mûri tout seul et que ça a pris du temps, mais peu à peu j'ai pu faire quelques sculptures originales et les terminer.
Comme il n'y avait plus d'explosions dans mon coin, des gens se sont mis à y passer et certains ont bien aimé mes sculptures. Ca m'a encouragé à en faire d'autres; maintenant je ne fais presque plus que ça; comme elles sont faites des débris de tout ce que j'ai pulvérisé, ce n'est pas la matière qui manque... et pour l'inspiration, ca va !
Ah oui, au fait: tu sais, la sphère imaginaire que j'avais dans le dos ? Quand je ne sculpte pas je monte dessus, comme les acrobates du cirque et, comme eux, je la contrôle avec mes pieds pour aller dans une direction ou dans une autre, car le plan, s'il est irrégulier, n'est pas si incliné que ça. Juché dessus comme je le suis, je vois plus loin que les autres, ça peut servir...
Voilà, Rémanence, j'espère que tu pourras trouver ton profit dans tout ça. Quand Bearded te dit qu'il faut chercher ce qui est vraiment toi il a bien entendu entièrement raison; la difficulté est de discerner ce qui est soi de ce qui ne l'est pas (car dans ce qui ne l'est pas il y a non seulement ce qu'on nous impose mais aussi nos réactions pour nous en débarrasser). Je ne suis pas un spécialiste de la psychologie, mais je dirais volontiers que tout ce que nous avons de créateur, de vital, de positif est nous et que c'est cela qu'il faut cultiver. Du moment que tu sais, que tu es pleinement consciente désormais, que ce qui t'en entrave est un fantôme parental, à mon sens la situation ne peut pas ne pas évoluer favorablement. Cela ira certainement plus vite toutefois si tu sais t'entourer de personnes qui t'auraont décelée pour ce que tu es, t'apprécieront et t'encourageront à prendre la pleine mesure de toi-même.
Cordialement,
Pierre-Jean