Bonjour chère Héléna,
Rassurez-vous, vous ne posez pas trop de questions. Je ne vous cache pas qu'elles me poussent à regarder les choses telles qu'elles sont.
Pendant des années, j'ai laissé les autres décider de la validité de ce que je ressentais par rapport aux paroles qui me blessaient ou au comportement de certaines personnes à mon égard. "Elle est trop sensible." "Elle prend tout à coeur." Et pourtant, je me demandais toujours comment Firouz, par exemple, réagirait si je lui faisais subir ce qu'il m'a fait.
Je crois vraiment que la meilleure manière de mettre un terme à l'abus est de feigner l'indifférence, mettre le poing sur la table et sortir de la pièce, bref ne pas subir l'abus et laisser l'abuseur sentir qu'il vous a touché de quelque manière que ce soit. Surtout, ne pas donner de deuxième chance à moins que la personne se soit confondue en excuses pendant très, très longtemps. Malheureusement, j'ai subi l'abus, en fondant en larmes devant Firouz, par exemple, et j'ai fait la grave erreur de tenter de lui faire admettre que ce n'était pas bien ce qu'il me disait. Tant d'émoi pour finir par accepter qu'il s'était fâché et croire qu'il avait réalisé combien il m'avait fait mal. Une personne normale finirait pas s'excuser et vraiment accepter ses torts sans même oser dire que je l'ai provoquée ou abusé de sa patience. Car, même si j'aurais réussi à exaspérer quelqu'un, je ne crois pas que j'aurais mérité d'entendre les paroles comme celles que Firouz me disait.
Je me faisais du mal dans ce sens, Héléna. Bien que ne vivant pas avec lui, je le laissais me tourmenter et empoisonner mon existence, alors que j'aurais pu choisir d'être heureuse, sans me sentir coupable de l'être. Parce que Firouz me tourmentait surtout lorsqu'il me sentais devenir enthousiaste, spontanée, énergétique, etc. Très tôt dans ma relation, j'avais appris à me pas montrer que j'étais heureuse, par peur d'irriter Firouz. Combien de fois lui ai-je dit qu'il pouvait aussi être heureux et faire comme moi, profiter de la vie à tout moment. Combien de fois lui ai-je dit qu'au lieu d'être furieux parce que j'étais allé au restaurant, par exemple, de simplement faire la même chose.
Parfois, je l'appelais pendant une party or alors que j'étais au restaurant, simplement pour lui dire qu'il me manquait énormément. Un amant normal, aurait sûrement répondu spontanément qu'il souhaitait être à mes côtés et que je lui manquais aussi beaucoup. Mais, Firouz, n'appréciais même pas ce geste d'amour gratuit et me faisais sentir coupable de m'amuser alors que lui était assis à la maison à se morfondre sur sa vie qu'il n'essayait pas d'égayer. J'étais toujours désemparée dans ses moments et très triste qu'il n'ait pas apprécié.
Il me semble que Firouz ne peut endurer de me voir insouciante et heureuse. J'ai vraiment cru que c'est parce qu'il souffrait de ne pas partager sa vie avec moi, et je lui donnais beaucoup d'attention pour essayer de compenser. Mais, il réussissait à gâcher même les moments que nous passions ensemble.
Plus de sept ans à vivre ainsi, en ayant peur d'être heureuse simplement et en étant incapable de profiter pleinement des moments passés avec lui par sa faute.
Au début, il s'excusait assez rapidement lorsqu'il me faisait pleurer. Puis, il commença à se justifier : sa jalousie, ses problèmes financiers, conjugaux, sa maladie, etc. Puis, il a fini par tout blâmer sur moi. Je n'en finissait pas d'essayer de me remettre d'une dispute et de me réconcilier avec lui. Bien que ma vie avec mon mari était relativement saine et m'offrait des plaisirs et un confort que j'avais mérité à force de m'investir, je ne voyais plus rien autour moi. J'étais complètement accaparée par les frustrations de Firouz et sa colère de me voir vivre paisiblement alors qu'il aurait souhaité que je sois misérable comme lui. Malheureusement, il réussissa à me faire fondre avec lui, en une symbiose parfaite.
Et pourtant, j'ai tenté de lui faire vivre mon bonheur en faisant des projets ensemble. Un été, nous étions même allés en vacances tous les quatre. À ma grande déception, il n'avait pas goûté au bonheur et m'avait encore beaucoup tourmentée, alors qu'il était rongé par sa jalousie de me voir entrer dans ma chambre d'hôtel avec mon mari. Je le suppliais de profiter du moment et d'accepter les contraintes. Je lui disais que l'important était que nous étions ensemble et que cela relevait d'un miracle. Mes vacances, cet été-là, avaient été complètement gâchées par sa présence, alors que j'avais tant rêvé d'une telle occasion.
Il a aussi abusé de moi financièrement. Je me déplaçais toujours à Montréal, je m'occupais de louer l'hôtel, de payer les repas légers et le vin, etc. Dans la plupart de mes voyages, je me déplaçais soit en train, soit en avion. Chaque voyage me coûtait en moyenne 500 $. Quelques fois, je faisais des escapades d'un jour qui me coûtaient encore plus cher. Durant certaines périodes, il offrait de payer la moitié du tarif de la chambre. Mais, la plupart du temps, il se disait désolé de ne pouvoir contribuer. Je lui disais que l'important est que nous passions de bons moments ensemble. Je précise que je me déplaçais une fois tous les mois ou à peu près, à sa demande. Il ne cessait d'être de plus en plus exigeant et d'avoir des attentes déraisonnables.
Un jour, nous étions assis devant chez moi à Toronto. Il était venu me rendre visite avant de partir travailler pour un certain temps en Californie. Je ne voulais entendre que des paroles rassurantes, parler avec nostalgie de nos bons moments et nous dire mutuellement combien nous allions nous manquer. Nous étions silencieux et il fumait en regardant dans le vide. Soudainement, il eut un sourire narcois, et je lui demandai à quoi il pensait. Puis, il me dit qu'il était bien le seul homme à avoir le bonheur de coucher avec une si jolie femme qui en plus défraye les frais d'hôtel pour être avec lui. Cette courte scène resta graver comme une marque de fer sur mon coeur. Malgré tout, je continua à le considérer comme que j'aime.
Des millions d'autres incidents comme celle-ci sont survenus et m'ont fait figer de stupeur. Dans ces moments, je ne pouvais gérer mes émotions. Je lui disais, le souffle court, que je n'aurais jamais cru qu'il soit capable de me dire des choses pareilles, et il me disait que c'était des blagues et que je ne devais pas le prendre au sérieux.
Deux, trois fois, je l'attendais quelque part dans les rues de Montréal. Puis, j'entendais quelqu'un m'interpeler par des sifflements ou d'un ton qu'on emploirait pour une prostituée. Je me retournais indignée par ce manque de respect, seulement pour me rendre compte que c'était lui.
Un jour que nous étions à nous promener sur la rue Sainte-Catherine, il s'arrêta à une banque et je lui dis que je l'attendrais à l'extérieur. Ce jour-là, je portais un imperméable avec sangle qui montrait bien ma taille fine, avec des petites sandales à talons de 2-3 pouces et des bas de nylons couleur naturel qui découvrait ma cheville et mes jambes élancées. Je ne portais rien dans le coup qui était nu, sauf pour une chaîne en or et un pendentif très discret (ma robe sous l'imperméable était ajustée et cela donnait l'impression peut-être que je ne portais rien dessous l'imper, à son avis). En sortant de la banque, il s'approcha de moi encore avec son sourire narcois, pour me dire que j'avais l'air d'une prostituée qui attendait un client. J'en étais restée bouche bée de honte.
Une autre fois, nous nous étions disputé, et il me dit qu'il n'irait pas à l'hôtel où nous nous rendions à l'instant. J'étais si confuse et j'insistais qu'il vienne en souhaitant qu'il se calmerait. Il accepta de me suivre en me disant que ce serait la dernière fois. J'ai accepté sa décision. Pendant que nous faisions l'amour, tout se passa bien, mais j'hésitais entre jouir du moment ou pleurer. Lorsqu'il me reconduisit à la gare, il me demanda d'oublier ce qu'il m'avait dit et de revenir très bientôt. Je me mis à pleurer et à le supplier de ne plus menacer de mettre un terme à notre relation ainsi.
Hier, la semaine s'est terminé encore en pleurs, alors que, encore sous l'effet de choc de ce qui était arrivé au début de la semaine, je lui demandai encore de ne plus jamais me dire des paroles blessantes ou menaçantes. Poussée par le désespoir, je lui demandai de m'aimer inconditionnellement. Sur quoi, il répondit que je ne pouvais lui demander une telle chose. Ma tête se mit à tourner et je lui demandai s'il croyait vraiment m'aimer. Il me répondit que oui. Je lui répondit à mon tour que maintenant je pouvais le laisser tranquille et je raccrochai. Durant la conversation, il m'avait demandé de le laisser tranquille et de ne plus rappeler, car il refusait d'entendre et d'accepter ce que je lui disais. Il aurait accepter si j'aurais aussi accepter mes torts. Il mettait une condition pour ne plus utiliser les paroles qui m'avaient blessée. Mes sentiments n'avaient pas été validés.
Voyez-vous, Héléna, je voulais à tout prix vivre le bonheur avec Firouz. J'ai tout fait pour rendre cela possible. Je lui ai donné toutes les chances. Aujourd'hui, je me retrouve sans force, abandonnée par l'homme qui a été tout pour moi pendant les plus belles années de ma vie, et qui a abusé de mon amour impitoyablement et égoïstement.
Pour l'instant, j'ai très mal et je me résigne devant mon désespoir. Je déploie des efforts surhumains pour ne plus trouver la force de croire que tout n'est pas perdu avec lui. Pour l'instant, je me demande si je vais être capable de reprendre goût à la vie et si je vais vraiment faire mon deuil sincèrement et entièrement de cette relation. Pour l'instant, je me sens incapable de me dire que je ne l'aime plus et que je peux l'oublier, même si je sais qu'il n'en a jamais valu la peine. Quand je pense que ma vie, mis à part cette relation, a toujours inspiré le respect de mon entourage et que j'étais tout de même satisfaite de mes accomplissements.
Il est 09:50 et je suis assise au bureau à vous écrire mon histoire pitoyable, mais vraie.
Je sais, j'étire le sujet. Mais, je sentais le besoin de me rappeler des événements qui m'avaient marqués dans le passé comme pour me convaincre que cette relation était bel et bien abusive.
Héléna, j'avoue que je ne sais plus trop où j'en suis...
Anam Cara