Salut Martie,
Tout d'abord, merci pour ce que tu dis sur nos échanges, moi aussi cela m'apporte beaucoup ! Découvrir que je ne suis pas la seule pour plein de choses, parfois même des détails, il y a certains de tes messages que j'aurais pu écrire en changeant pas plus d'une phrase !
Je comprends très bien ce que tu dis, cette fatigue. Je l'ai eue aussi, pas immédiatement car j'étais trop choquée pour ressentir quoi que ce soit, au contraire, je peux même dire qu'il m'arrivait les jours après sa mort d'être survoltée ! mais c'était parce-qu'il y avait des choses en préparation, pour sa mémoire etc. Donc encore quelque chose à faire "pour lui", qui me motivait plus que tout.
Mais au bout de quelques semaines, quand tout cela était terminé, je me suis retrouvée complètement vidée, épuisée, je "gérais" en apparence mes études, mon stage etc. et pourtant, je n'en pouvais plus (avec des horaires de bureau : 9h-19h, je n'ai pas compris tout de suite si c'étaient ces horaires auxquels je ne suis pas habituée, ou les faits récents qui expliquaient ma fatigue, les deux sans doute). J'ai tenu comme ça entre avril et novembre 2003, excepté évidemment un mois et demi de vacances. Pourtant, comme tu dis, je me sentais incapable de faire même des choses simples.
Sans doute y-a-t-il d'autres raisons, je pense que je n'aimais pas ce que je faisais, et qu'après sa mort ça m'a sauté aux yeux : il ne me restait plus que le boulot, et en fait... je ne l'aimais pas, au contraire, il me démoralisait. Il ne correspondait plus à mon vécu.
Il y a aussi le fait que mon école j'y étais entrée LE JOUR MEME de son entrée aux Urgences, et que donc, pour moi la maladie puis la mort étaient irrémédiablement liés à cette école, d'où un rejet lorsque je suis passée en deuxième année. J'ai tenu là-bas les quelques mois après sa mort, ou je n'avais pas la force de réfléchir à ce que je voulais ou non, mais dés que je suis sortie de ce "coma" intellectuel, (après les vacances d'été, qui m'avaient permis de repenser à tout cela à mon gré - c'est-à-dire 6 mois après sa mort), j'ai compris que je ne pourrais pas supporter une année de plus là-dedans. A la rentrée, en octobre, j'ai quand même continué faute de mieux - puis je suis allée voir des médécins, pensant que quelque chose expliquait forcément cette fatigue subite et qui durait(d'habitude je n'étais jamais comme ça). Une anémie, quelque chose... Mais non ! Pas de maladie, donc pas de remède. Je pense que, pour ma part, mon corps et ma tête refusaient de continuer comme avant, comme si rien n'avait changé. Il leur fallait une pause. Etant étudiante, ayant des parents pour pourvoir à mes besoins, je pouvais me le permettre alors c'est ce que j'ai fait. Bien sûr, cette année sabbatique est plus abordable quand on est étudiant, alors je ne peux la conseiller à personne, parce-qu'en même temps, le travail est quelque chose à quoi se raccrocher. Moi j'ai une passion, la musique, donc maintenant, c'est à mon piano que je me raccroche en attendant l'an prochain de me remettre à des études.
Tu sais, ta peine est si récente, comment pourrais-tu survivre à ne rien faire de tes journées... tous les repères ont disparu alors il faut au moins qu'il te reste un "rythme" à suivre, pour t'accrocher à quelque chose, pour avoir la force de continuer !
Et pourtant, travailler, aller chez le médecin, voir des amis, chaque petite chose est épuisante. Même physiquement !! Je pense que c'est parce-que notre tête a trop de choses à gérer, il y a un trop plein de questions, d'émotions, et cela se ressent sur le physique. (la preuve, un grand sportif qui a moins le moral fait de moins bonnes performances, c'est logique). Malheureusement les gens autour ne nous aident pas. Si on pouvait leur dire, "j'ai de l'asthme" (lol) "je suis anémié" etc. ils comprendraient peut-être... Mais là on n'est pas malade. Alors d'où nous vient cette faiblesse, cette incapacité à des choses simples ? C'est dans notre tête, d'où les "secoue-toi", injonctions faciles à dire, mais moins à réaliser. Moi aussi je réagissais comme ça, ceux qui essayaient de me secouer, soit je culpabilisais ("je suis nulle, j'arrive à rien faire"), soit je les détestais ("comment ose-t-elle?"). Je ne supportais pas non plus qu'on me complimente d'avoir réussi mes partiels alors que mon copain était malade, ou qu'on me dise : c'est bien de ne pas lâcher tes études.
Et ceux qui me disaient "je suis là, appelle moi" etc. je ne rappelais jamais. Je n'arrivais pas.
Moi je crois que ttes ces choses qu'on est épuisé à faire, c'est parce-qu'on n'a plus envie de les faire seule. Faire à manger, s'habiller etc. moi je m'en foutais royalement, je mettais les fringues qui me tombaient sous la main, je mangeais un mc do ou une carotte... Aucune motivation dans la vie sans eux, sans quelque chose de fort à quoi s'accrocher, voilà où est le problème.
Il faut du temps pour se "désimpliquer", se "désengager" d'une relation qui prenait (pour moi en tout cas) presque toute la place dans la tête (relation qui s'est terminée par la mort !). Et c'est ce que tu es en train de faire, même en le gardant avec toi, chez toi, dans ton coeur, tu te désengages "physiquement", et peu à peu "moralement" de cette relation. Il y a de quoi être épuisé, car on se bat contre soi-même, contre la part de soi qui refuse ! de se désengager, d'accepter cette nouvelle réalité, et contre celle au contraire qui n'en peut plus de pleurer, et qui voudrait être débarassée de ce poids. C'est difficile ce combat intérieur, en tout cas moi je l'ai vécu comme ça, et tant que TOUT n'est pas sorti, toute la haine, la frustration, le désespoir et tous ces sentiments contradictoires, - on ne peut qu'être épuisé. On manque d'énergie vitale, comme quelqu'un qui serait en dépression permanente et qui ne voudrait pas s'en sortir. Sauf que nous, on sait pourquoi. Il y à un traumatisme qui nous hante et qui nous empêche de vouloir avançer pendant un bout de temps. On voudrait rester dans le passé, ne rien changer... malheureusement c'est impossible, on ne peut pas se figer au jour de sa mort. Alors on avançe à reculons, comme si on avait pris un tapis roulant à l'envers et qu'on essayait d'avançer qd même... Image un peu triviale mais c'est comme ça que je ressentais le fait d'aller en cours, à mon stage, d'être à l'heure aux rendez-vous, comme si quelque chose entravait mes mouvements sans arrêt.
Je ne te donne donc pas de solution, simplement, je pense que c'est parfaitement normal ce que tu vis, malheureusement moi je n'ai pas réussi à faire comprendre ça à mes amis, (que, comme toi, je trouvais complètement superficiels, sans intérêt etc. - j'en ai retrouvé quelques uns maintenant que je vais mieux), j'ai juste fait ce que je sentais, arrêter cette école et depuis je vais mieux. POur toi, le remède sera peut-être différent, peut être que cette fatigue passera toute seule avec les mois, à force de te "libérer" par la parole, peut-être que tu te trouveras des choses qui te motivent plus pour te redonner le goût de la vie, et ainsi aller au boulot etc. ne te semblera plus si épuisant.
Qui peut le dire ? Mais forcément un jour, cette fatigue te passera. J'ai pris des vitamines, je ne sais pas si cela m'a aidée, j'en doute, par contre je n'ai jamais rien pris, antidépresseurs, somnifères, rien de ce genre. Cela dit ça peut être aussi les antidépresseurs qui te provoquent une "somnolence", mais je ne crois pas que ce soit ce type de fatigue dont tu parles (je dis ça parce-que j'ai un ami qui prenait des antidépresseurs et cela lui avait fait complètement changer de personnalité, il était passé d'hyperactif à mou et passif, toujours souriant, mais jamais "vivant", et ça m'avait inquiétée. Mais ça dépend des personnes)
Quant à ce que tu dis sur tes amis, ta nouvelle façon d'être etc. Je te le dis, heureusement ce n'est pas définitif. Il y a des gens qui sont nuls et le resteront, et cela... on les jette (je l'ai fait avec ma copine qui dépassait les bornes). D'autres sont simplement trop neutres à ton goût alors que tu vis une épreuve tellement dure, et elles/ils se contentent de rester fidèles à eux-même... Au moins comme ça ils pensent éviter les gaffes. Ceux-là tu peux, soit essayer de leur expliquer, soit les "retrouver" plus tard, quand vous serez sur une longueur d'onde plus compatible, c'est-à-dire quand tu te sentiras capable de rire à une blague sans arrières-pensée, et ça n'est pas demain je ne vais pas te mentir. Moi je commence tout juste, et rien que de m'en rendre compte ça m'attriste alors !!! Il n'y a rien de plus pénible que cette solitude au moment où justement on aurait besoin que les gens se montrent, au moins, ne serait-ce qu'humains, et c'est là qu'ils se montrent le plus cruels ou tout simplement nuls. Hélas, je pense que c'est comme ça pour toutes les situations marginales... et ce qui nous arrive n'est pas le lot de tout le monde, tant mieux pour eux. Forcément, avec toutes les gaffes, les phrases ignobles ou maladroites qu'on entend on se sent encore plus seul, d'où cette impression d'être à des kilomètres de leurs préocuppations "normales" qui nous paraissent superficielles et insupportables. Mais je te jure que ça passe. D'une part, au bout d'un moment à force de te voir comme ça, les plus nuls disparaissent ("elle a changé, elle est pas marrante, on peut plus rigoler avec elle" - eh ben oui c'est la vie) et les autres finissent par comprendre (parfois avec une petite mise au point de notre part) que ce n'est pas en faisant comme si tout allait bien qu'ils vont nous rendre le sourire. Et d'autre, part, au bout d'un moment, le moment du choc finit par s'éloigner, et on commence à "réintégrer" sa vie "normale" peu à peu, et donc re-"comprendre" les préocupations des amis... même si c'est avec un regard nouveau et qui relativise beaucoup plus les petites merdes quotidiennes, et les détails sans importance. On gagne quand même en intelligence ce qu'on a perdu en naïveté. Ca n'est absolument pas une consolation, juste un constat.
Tu dis aussi qu'écrire ne t'aide pas à comprendre. Moi non plus ce journal m'a peu aidé PENDANT. J'avais même du mal à sortir les mots de mon esprit, mais je me forçais, pour plus tard, pour me souvenir de ce que j'avais éprouvé (même si je pense qu'on ne l'oublie jamais, je voulais un souvenir précis) - et parfois, en écrivant j'arrivais à comprendre certaines choses, comme notre engueulade, à force d'écrire je l'ai mieux analysée (je n'en étais pas du tout à ton niveau à sa mort je ne comprenais toujours pas que la maladie y était pour qq chose, ou à peine).
En revanche, après en relisant ce journal, j'ai pu comprendre des choses que je ne voyais pas sur le coup en l'écrivant. Donc ne te décourage pas, je suis sûre que ça portera ses fruits, sauf si vraiment ça t'est trop difficile c'est que ce n'est pas encore le moment.
Tu sais, je suis qq part triste et heureuse à la fois de le dire, mais chaque chose porte ses fruits, chaque petit pas, petit effort qui nous paraît immense et sans résultat, apporte un mieux-être. Mais APRES !! C'est ce qui est dur. On peut faire des mois sans voir le bout du bout du tunnel, des mois de profond desespoir à pleurer en s'endormant, en se réveillant (il paraît que c'est un signe de la dépression), à n'avoir aucune envie, rien pas la moindre motivation... et puis un jour, sans qu'on comprenne pourquoi, le premier petit rayon de soleil, puis peu après le deuxième... et puis ils arrivent tous en même temps pour éclairer tout ce chemin parcouru. C'est le genre de choses que je ne supportais pas de lire quand ça ne faisait que quelques mois... même jusqu'en novembre dernier...alors j'espère que tu ne m'en voudras pas. Je ne croyais pas que moi aussi, un jour j'irais mieux, je dirais même plus je ne le voulais pas ! Je voulais le pleurer et ces voix qui me disaient "tu verras" étaient des gourous pour moi, je n'en croyais pas un mot.. ou alors je me disais que, eux, ils n'avaient pas tant que ça aimé celui ou celle qu'ils avaient perdu, que leur amour était moins fort, des choses comme ça.
Pourtant, c'est vrai. Simplement, chaque chose en son temps. Il y a un temps pour pleurer, et ce temps là n'a pas de limite prédéfinie, c'est nous qui le sentons - et puis il y a un temps pour sécher ses larmes et reconstruire. Parce-que, que penseraient-ils si ils voyaient que notre vie entière n'était que larmes pour eux... Loin de les flatter, je pense qu'il s'énerveraient qu'on les prenne pour prétexte à notre naufrage. Ce n'est pas leur rendre service (encore moins un hommage, ou une preuve de notre amour) que de gâcher notre vie, car nous en serions les seules responsables. Voilà ce qu'on se dit le jour où on est prête à reconstruire. Je n'en suis pas loin, même si comme je te l'ai dit, les larmes coulent toujours et couleront toujours lorsque je penserai à lui et à cette fin non choisie. Parfois, même encore aujourd'hui, alors que je suis enfin capable de pleurer (ma première vraie crise de larmes était au moins six mois après sa mort, avant je ne pleurais qu'une larme de crocodile, ou un sanglot étouffé, comme si qqch m'enserrait la poitrine pour m'empêcher de faire sortir le chagrin) - eh bien il m'arrive de me sentir oppressée, triste à mourir, et pourtant c'est une douleur muette, il n'y a pas de larmes, juste ce mur, cette impossibilité de le revoir, de lui parler de le toucher.
Je reconstruis mais je peux toujours ressentir ça, et c'est sincère. Alors je ne vais pas me prendre pour exemple, mais je pense que c'était ce que je souhaitais, c'est la meilleure façon pour moi en tout cas, de vivre à présent qu'il est mort. VIVRE, avec lui. Et non pas MOURIR avec lui. Même si j'ai mis du temps à le comprendre.
VOilà, un bien long message j'espère que je ne t'ai pas ennuyée, que tu ne m'en veux pas de te raconter tout cela, peut-être est-ce trop tôt pour te parler de CES sentiments là qui ne sont pas encore à l'heure du jour pour toi, c'est certain... C'était pour te donner une lueur d'espoir de la part de quelqu'un en qui tu peux avoir confiance( : je ne te dis pas "meuh non tu vas voir ça va aller" de la même façon que d'autres, pas crédibles, peuvent te le dire)
C'est-à-dire que moi aussi j'ai connu beaucoup de ces sentiments dont tu parles et nottamment cette fatigue, cet épuisement perpétuel et inexplicable "médicalement", et pourtant aujourd'hui la fatigue m'a quittée (mais je n'ai plus de raison "matérielle" d'être fatiguée), et le moral peu à peu va mieux car la haine (contre ceux qui ne comprennent rien) s'éteint - grâce à des discussions comme les nôtres, grâce à ceux que je rencontre qui me comprennent mieux que les amis de toujours, aussi étonnant que ça puisse être. Voilà ce que je voulais te dire.
A part ça tu disais ne pas arriver à parler de sa maladie sur le forum, je comprends, si tu veux qu'on s'écrive je suis d'accord. Le seul problème est que je ne veux pas laisser mon adresse ici pour éviter de recevoir des mails que je ne voudrais pas - alors sinon peut-on convenir d'un horaire où on va en même tps sur le forum, je laisse un msg avec mon adresse mail rapidement, et je l'efface juste après ? Si tu le souhaites bien sûr. Voilà donc bon courage encore une fois, tu n'es pas la seule dans ce merdier (désolée mal écrit ce mail suis un peu fatiguée - fatigue normale cette fois)
Amitiés, à bientôt j'espère
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