C'est plutôt moi qui ai été stupide avec mes illusions. Il va bien falloir que je regarde la vérité en face, et le plus tôt sera le mieux, autant commencer. Comment faire : se draper dans l'utopie ou être désespéré par les contingences de cette vie ? Pour moi aussi, cette existence est trop guindée, trop matérialiste. La société étouffe nos aspirations car elles seraient "contre-productives". Or aujourd'hui, il faut que "ça rapporte", même par des procédés discutables. Ce qui me dégoûte le plus, moi, c'est le monde professionnel. J'aimerais me trouver une situation où on n'est pas juste une marchandise de laquelle il faut exprimer le maximum de rendement, mais je ne sais pas si ça existe encore (on dit bien "ressources humaines", après tout. Au moins, dans "personnel", il y avait le mot "personne". Cette terminologie voudrait-elle signifier que l'homme a perdu ce statut pour devenir une chose à exploiter ? ). Je ne suis pas vraiment intégrée dans le système, j'y suis en marge : j'y entre, j'en ressors, j'y entre à nouveau, mais je n'y reste jamais très longtemps car j'ai du mal à tenir le coup. Il me paraît tellement dénué de grandeur, ou même d'intérêt, tout simplement. Mes questionnements existentiels et ma soif d'absolu me reviennent par intermittences, ils m'avaient quittés, mais ils me hantent de nouveau en ce moment. Quelques décennies de vie dans l'abîme des siècles et des millénaires...Mais quel peut bien en être le sens ? En existe-t-il seulement un ? Tout ce que nous faisons et construisons sert-il à nous masquer cette interrogation ? Il faudrait déjà savoir QUE chercher. Puis savoir OU chercher...
Lorsqu'on possède la première place, on doit souvent le payer d'une façon ou d'une autre. C'est une position convoitée, qui attise la jalousie. Mon père m'avait dit un jour : "le premier, c'est l'homme à abattre !". Et ceci, sans doute, même si on n'a rien fait pour être "abattu". Lorsque j'étais au CM2, j'étais en compétition serrée avec une autre fille pour la première place, et j'ai réussi à la battre après un trimestre d'efforts acharnés. Eh bien elle ne me l'a jamais pardonné. En 6ème, elle n'était plus avec moi, mais elle s'est juré de se venger de cet affront : elle avait le bras long, connaissait du monde et avait beaucoup plus d'influence que moi. Elle a demandé à une autre fille de ma classe, un véritable "caïd", de se charger de mon cas. Cette fille m'a fait plus d'une dizaine d'ennemis avant même que j'aie eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait. Je crois que c'est ainsi que ça a commencé pour moi. A 10 ans déjà, la compétition acharnée. Ca m'a coûté cher, mais ma mère exigeait de moi que j'aie la première place. C'était comme un dû pour elle. Mais elle n'a jamais compris le prix que j'ai payé. Tout ça pour qu'elle finisse tout de même par me considérer comme une ratée parce que je n'ai pas eu mon bac avec mention et que je n'ai pas intégré une école d'ingénieurs comme elle voulait que je le fasse.
Ma mère aussi me disait souvent : "de toute façon, toi, je te connais !!!" avant de m'énumérer la liste de défauts qu'elle me trouvait. Au fond elle ne connaissait que le masque qu'elle m'avait plaqué presque depuis ma naissance. Elle ne regardait jamais au delà. Elle était persuadée d'avoir raison et de me connaître mieux que moi-même. J'étouffais sous toutes les étiquettes qu'elles m'a attribuées sans même y réfléchir. Elle détestait les remises en question et n'admettait pas les contradictions. Dans ma famille, avant d'avoir pu émettre des avis qui étaient vraiment pris en compte, j'ai dû attendre d'avoir 15 ans. Avant, ce que je disais était le plus souvent considéré comme un ramassis de bêtises infantiles sans intérêt, que ce soit par ma mère, mon père, ou mes frères, d'ailleurs. "Tais-toi", me disait-on. "Tais-toi, tu dis n'importe quoi." Ou alors, l'incontournable variante : "Quand on te dit quelque chose, tu obéis !". Bref, une ouverture d'esprit phénoménale !...
Au fond, tu te disais : je vais vous montrer que je suis quelqu'un d'aussi bien et même mieux que vous, même si vous ne me croyez pas !! C'est cela, non ?
Ma mère voulait me modeler a son image, pour me faire faire ce qu'elle-même n'a pas accompli, et elle tenait à ce que je lui en fournisse les moyens. J'étais son instrument de réussite. Mais c'était sans compter sur la résistance acharnée, plus ou moins inconsciente, que je lui ai opposée. Moi-même, je ne pouvais pas la contrer : c'était comme un processus d'autodestroction : une fois que le compte à rebours avait commence, moi-même je n'avais pas le pouvoir de l'arrêter. Je ne pouvais que regarder défiler les chiffres avec une horreur croissante, en pensant à l'explosion que je ne pourrais pas empêcher, même si je le voulais. J'ai sacrifié mon propre avenir pour sauvegarder mon intégrité psychique.
A 9 ans, curieusement, je rêvais de devenir médecin. Mais je ne savais pas d'où me venait ce rêve. Mais c'est normal, car ce n'était pas le mien. C'était celui de ma mère, c'était son ambition. A 10 ans, je rêvais de devenir chercheur en biologie, eh bien ce n'était pas le mien non plus : c'était celui de mon frère, sur lequel ma mère m'a dit de prendre exemple. Pour être obéissante, je l'étais ! Mais je n'ai jamais parlé de mes projets à ma mère, je savais bien qu'elle se moquerait de moi dans ce cas, car elle pensais que j'étais peu intelligente et sans envergure, contrairement à son fils adoré. Et puis ça aurait concordé trop mal avec mon image d'éternel bébé de la famille (quand on a 8 ans de moins que les autres, c'est difficile à éviter). Bon, quelques années après, j'ai bien compris que tout cela était nettement hors de ma portée. ET puis de toute manière, ce n'était pas mon désir à moi. Le mien, je crois bien que je n'ai jamais pu l'élaborer, j'ai été "parasitée" par ceux des autres pour moi.