Eh non, ça ne se passe pas seulement dans les livres
comme il y a de quoi débattre dans ta lettre!
Les dépendants affectifs ne sont pas endormis, certains (comme nous) sont parfaitement conscients du problème, alors d'où vient ce fataliste "réveillez-vous!!!" lancé a l'improviste tel un avertissement de témoin de Jéovah? Nous ne balayons pas les conseils du revers de la main, nous essayons de les appliquer dans notre vie du mieux que nous pouvons, sauf si pour toi cela se résume à quitter notre conjoint sans se retourner et tout reprendre sa vie à zéro. Pour ma part, avec mon gros ventre, mes quatre chats, mon chien, la crise du logement et les formalités de la naissance qui s'en vient, je me vois très mal plier bagages et m'en aller en chantonnant, baluchon au dos, par -10 degrés sans savoir où aller (dans un 1 1/2 ou encore pire, de retour chez mes parents après avoir donné tous mes animaux à la SPCA) ni quoi faire. N'est-ce pas tout ce qu'il y a à comprendre mon cher ballon? N'est-ce pas tout ce qu'il nous reste à faire, se retrouver seules sans point de repères?
Changer tout de A à Z? Jeter le bébé avec l'eau du bain? Peut-être ne sommes-nous pas toutes révolutionnaires comme toi. Peut-être vis-tu sans point d'attache, sans responsabilités avec des portes de sorties de tous côtés! Comme c'est si facile de critiquer quand on est dans la cour du voisin!
Bien sûr que nous souhaitons avoir toutes sortes de point de vue, sinon je n'aurais jamais ouvert une discussion sur ce site. Mais pour ce qui est de ma façon de voir la vie, je doute que tu puisses comprendre à moins de l'avoir vécu toi-même. Pour faire une histoire courte, je dirais que tout a changé du tout au tout le jour où j'ai rencontré cet homme. Avant, j'étais consciente de mes talents, j'étais reconnue et aimée, j'allais à l'école, avait un plan d'études à l'université et une carrière en vue, mais j'avais aussi beaucoup souffert du rejet durant l'époque du secondaire. Tous les garçons dont j'étais tombée amoureuse avaient tous, sans exception, rejeté mes avances à cause de mon apparence physique. Lorsque j'ai enfin rencontré quelqu'un qui a voulu fonder une famille et habiter avec moi,
j'ai perdu la carte. C'est comme si plus rien d'autre n'avait été important pour moi. En un instant, l'estime de moi, mes projets de carrière, mes buts, tout cela fut envolé et je me consacrai corps et âme à cet homme, pour qu'il ne me quitte plus jamais. Peut-être que tout cela est une histoire de confiance en soi, après tout. Ma misson, dans la vie, était à l'époque de devenir une célèbre musicienne. Peut-être n'était-ce qu'un paquet d'illusions et qu'au fond, cet homme m'a sauvé de plusieurs années d'études coûteuses et inutiles (car vos savez, entre vous et moi, qu'on ne gagne pas sa vie avec la musique). C'est ce que je me dis pour me consoler quand, parfois, je regrette mon projet d'études et combien les gens m'avaient encouragé à poursuivre à l'université dans les arts. Peut-être qu'après des années à m'endetter pour des études infructueuses, je me serais tapée une véritable dépression, à retardement cette fois-ci.
Ce que j'ai le gout de vivre comme femme? Présentement, je voudrais que notre fille puisse grandir en ayant l'illusion que ses parents s'aiment et que son foyer soit pour elle une source de sécurité et de réconfort. C,est tout ce que je souhaite. Je voudrais que jamais elle n'ait à souffrir des disputes entre ses parents, que ceux-ci puissent quand même connaître des jours heureux et que nous puissions avoir l'air d'une famille unie, un peu comme celle dans laquelle j'ai été élevée. Les idées sombres et noires, ce ne sont pas un renoncement à ce projet, ce sont les événements stupides qui dégénèrent et qui nous font douter du réalisme de ces souhaits qui sont pourtant fondamentaux pour un être humain.
La "dépression qui dure des années", pour utilisr ton expression, c'est seulement l'acharnement qu'ont les dépendants affectifs à vouloir espérer un bonheur fictif qui n'arrivera jamais. Et tu crois que je ne suis pas allée chercher de l'aide???! J'ai voulu suivre une thérapie pour apprendre à décrocher (attention, on ne parle pas ici de quitter son conjoint), mais ma thérapeute a l'air tellement découragée qu'elle tarde à rappeler chez nous pour fixer un prochain rendez-vous. Peut-être m'a-t-elle tout simplement laissée tomber. Je suis allée voir plusieurs médecins, travailleurs sociaux, psychiatres, pour régler mon problème d'anxiété et au moins éviter que mon bébé n'en souffre malgré lui. Je suis allée chercher des pilules pour combattre mes nausées d'angoisse. Que voulez-vous que je fasse d'autre à part éviter les contacts avec cet homme au maximum? Oui, je subis la vie, comme tu dis, mais au moins je suis encore en vie...