Les théories en psychologie de la morale ont traditionnellement considéré que la moralité concerne les valeurs, attitudes et comportements ayant trait à la justice, aux droits humains et au souci du bien-être des autres. Des théoriciens importants sont notamment les psychologues Lawrence Kohlberg et Carol Gilligan.
Sur la base de ces approches classiques, les études en psychologie sociale et politique ont montré que les gens ayant des allégeances politiques de gauche font preuve d'une plus grande moralité que ceux ayant des allégeances de droite (1).
Selon le psychologue Jonathan Haidt (2), les recherches en psychologie de la morale sont ainsi biaisées en faveur des valeurs de gauche. Il propose donc, avec ses collègues Craig Joseph et Jesse Graham notamment, une approche alternative définissant la moralité de façon plus large afin d'inclure les préoccupations et les valeurs conservatrices.
La "théorie des fondements moraux" ("Moral Foundations Theory") qu'il propose inclut 5 vertus intuitives présentes dans toutes les cultures. Aux deux fondements classiques de justice et de soin des autres, sont ajoutées les vertus, plus chères à la droite, de loyauté au groupe, d’obéissance à l'autorité et de pureté. Les valeurs de loyauté au groupe et d’obéissance à l'autorité ont en commun, est-il souligné, de favoriser les liens entre les groupes sociaux ("binding foundations").
L'hypothèse non vérifiée de cette théorie, soulignent le psychologue John T. Jost et ses collègues, est que ces trois nouvelles vertus sont morales.
En 2009, Jost a suggéré "que plusieurs des caractéristiques prétendument morales attribuées aux conservateurs ont une ressemblance frappante avec l'autoritarisme et l'orientation vers la dominance sociale telles que décrites depuis plusieurs décennies en psychologie politique. Plusieurs études récentes, rapportent Jost et ses collègues, ont par la suite confirmé ce lien.
La personnalité autoritaire est caractérisée par le conventionnalisme, la soumission et l’agression et a été associée à l'ethnocentrisme (favoritisme envers son propre groupe), le sexisme, l'homophobie, et la répression des déviants. L'orientation vers la dominance sociale est conceptualisée comme une préférence généralisée pour la hiérarchie basée sur le groupe et le maintien de l'inégalité.
Ce lien entre l'autoritarisme et les valeurs de la droite, disent Jost et ses collègues, en conjonction avec les expériences de Milgram sur les conséquences potentiellement délétères de l'obéissance à autorité, fournit des bases scientifiques pour douter de l'idée que la déférence aux autorités et aux conventions traditionnelles devrait être considérée comme un principe moral.
Dans une étude, publiée en 2014 dans la revue Social Justice Research, ils ont vérifié, en combinant les résultats de groupes d'étudiants et de répondants sur Internet, si la différence entre libéraux américains (Démocrates) et conservateurs (Républicains) dans les intuitions morales pouvait être expliquée par les différences individuelles en ce qui concerne l’autoritarisme et la dominance sociale.
Ces deux caractéristiques rendaient effectivement compte des différences d'intuitions morales. La plus grande valorisation des valeurs de loyauté au groupe, d'autorité et de pureté s'expliquait statistiquement par des niveaux plus élevés d'autoritarisme ; et la valorisation de la justice et du soin, par des niveaux moins élevés de dominance sociale.
Les trois valeurs conservatrices étaient aussi associées à l'hostilité intergroupe et à la discrimination alors que les valeurs de justice et de soin y étaient négativement associées.
Ces résultats, concluent les chercheurs, "pourraient conduire certains à s'interroger sur la sagesse et la pertinence des efforts pour "élargir" les conceptions scientifiques de la morale de telle sorte que les préférences fondées sur l'autoritarisme et de la domination sociale soient traitées comme morales plutôt qu'amorales ou même immorales
". Ces résultats suggèrent aussi, ajoutent-ils, que le but explicite d'intégrer l'idéologie conservatrice dans l'étude de la psychologie morale (afin d'augmenter la diversité idéologique) peut conduire les chercheurs en erreur.
D'autres critiques de la "théorie des fondements moraux" de Jaidt ont été formulées, notamment celle du recours considéré incohérent à la notion de morale intuitive par opposition à une morale qui incluant à la fois la pensée intuitive et analytique.
(1) Dans les études américaines citées ici, le libéralisme est opposé au conservatisme. Le libéralisme, relativement plus à "gauche" correspond plus ou moins au parti démocrate alors que le conservatisme, très à droite, correspond au parti républicain. Étant donnée la confusion liée aux termes "libéralisme" et "libéral" ailleurs qu'aux États-Unis (notamment au Québec où le parti libéral ne peut être considéré comme faisant figure de gauche), nous n'utilisons pas ces termes.
(2) Notamment auteur du best-seller The Righteous Mind : Why Good People are Divided by Politics and Religion (2012).
Références : Jesse Graham, Brian A. Nosek, Jonathan Haidt, Ravi Iyer, Spassena Koleva, and Peter H. Ditto (2012), Mapping the Moral Domain, Journal of Personality and Social Psychology. Matthew Kugler, John T. Jost, and Sharareh Noorbaloochi (2014), Another Look at Moral Foundations Theory: Do Authoritarianism and Social Dominance Orientation Explain Liberal-Conservative Differences in ‘‘Moral’’ Intuitions?, Social Justice Research. John T. Jost (2012), Left and Right, Right and Wrong, review of The Righteous Mind : Why Good People are Divided by Politics and Religion, Science.
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