Les oeillères, c'était pas pour toi, c'était plus général...
Je crois que le point où l'on diverge, c'est sur la gestion de la "difficulté à trouver son chemin", au sens où, par ma propre expérience, et par celles constatées autour de moi (c'est finalement qu'à partir de là qu'on élabore nos conceptions, j'imagine que de ton côté tu dois pas être loin des difficultés que tu décris, ou tu as dû avoir ta dose à un moment), j'ai, contre ce discours "une éducation écrasante nous détruit à long terme", deux contre-arguments :
[list:269137c134]1. je crois que toute personne un tant soit peu réfléchie a du mal à trouver sa voie. Pour le peu que cette personne apprenne à se connaître et à se construire, forcément elle affine ses exigences et voit noir sur blanc se détacher les points qui justement ne correspondent pas à "la voie" qu'elle veut pour sa vie... Finalement on n'avance trop souvent qu'en se détachant de ce qui ne nous plaît pas, et trop rarement en allant vers "ce qui nous plaît"... Ca a mille raisons, ça, par exemple l'éducation, par exemple la place qu'on laisse à l'enfant pour "choisir sa voie" :
- "Allez gamin, t'as tout l'univers à toi, vas-y, dis-nous ce qui te plaît !
- Mais j'en sais rien moi, j'ai rien testé !"
(cas dont je parlais hier où on laisse les gamins dans un désert)
... ça a plein d'autres raisons, de fait on a tant la possibilité de tout approfondir qu'on finit par annihiler tout repère dès qu'on creuse dans une direction, logique qu'on soit paumé...
Que le gamin soit une mauviette parce que la mère est écrasante, finalement, c'est un peu facile. J'ai vu des petits loulous gavés d'amour à la naissance être de sacrées lavettes, couver ses enfants peut avoir aussi cette même conséquence. Je ne dis pas qu'une mère écrasante ça ne porte pas du tout à conséquence, je dis que ça porte à conséquence de manière très limitée, et là j'en viens à l'autre truc :
2. ... c'est un peu facile aussi parce que c'est dire "si j'ai l'impression d'être une merde, c'est la faute à ma mère". Ca dénote déjà avoir dépassé le sentiment "je suis une merde", mais c'est juste l'étape d'après : responsabiliser quelqu'un d'autre. Et là où je voulais en venir, c'est que dans les conséquences possibles d'une mère écrasante, il n'y a rien dont on ne puisse venir à bout dans la vie. On naît TOUS avec nos casseroles, je ne connais personne qui ait des parents "normaux" avec une éducation "propre", tout le monde a un cadavre dans un placard, allez, en vingt ans il peut s'en passer, des choses.
C'est clair que si on fixe la norme à une enfance paisible, sans tracas, pleine d'amour, sans accident et sans pression, bah ça fait une norme à laquelle répond... allez, 5, 10% de la population des pays occidentaux ?[/list:u:269137c134]
Suffit de regarder autour de nous, si on compte la proportion de filles qui, avant leur vingt ans, ont connu une sale expérience, genre attouchements dans la jeunesse, harcèlement sexuel, viol, violences... et qu'on y ajoute la proportion de jeunes qui ont des parents invivables (violents, criards, aveugles, inaptes, que sais-je encore), qu'on y ajoute aussi la pauvreté, le contexte social, les névroses des parents et de l'entourage, la cruauté et la violence des camarades d'école, la sécurité dans les rues, la guerre à la télé, les maladies, les accidents graves et la mort de gens de l'entourage proche ou de personnes de la famille, et on a à peu près 95% de la population de nos ptits pays où le ciel est tranquille (parce qu'ailleurs c'est déjà 100% d'office entre violence pauvreté etc. en ajoutant à ça les guérillas, les mafias et le non-accès à la culture).
Si une enfance "normale" c'est une enfance où maman est aimable et où papa ne file pas du poing dans les flancs, alors en andalousie il n'existe pas d'enfance "normale". Ni chez les tziganes, ni en provence, ni dans pas mal d'autres endroits... Cette "norme" c'est comme le "français normal" en linguistique : uniquement parlé par les académiciens, dans une dizaine de bouquins et, par extension, dans une bourgeoisie assez sélect. Ailleurs, c'est un français plus déformé, voire un dialecte.
Un autre exemple aussi, de norme fixée dans l'idéal, alors qu'en fait la norme réelle est bien en deçà : la santé. On aimerait vivre sans risquer sa peau et sans maladie, or les maladies sont des risques omniprésents, et merde, on le sait, au fond, qu'une vie sans maladie, sans dégénérescence, c'est rare, et qu'on vivra pas jusqu'à 100 ans !
L'éducation c'est kif kif, un enfant éduqué dans des conditions "idéales" bah c'est très rare. Suffit de regarder autour de nous. Dans tous les gens que j'ai pu connaître, et qui là me passent par la tête (ça fait quelques dizaines, ou centaines de personnes), je compte une seule personne, une seule, qui ait pu avoir une éducation nickel, des parents pas trop oppressants, pas absents, pas divorcés, pas ceci, pas cela...
Les arguments que tu avances, comme "la mère oppressante (ça prend un "p" ou deux, bon dieu ?) porte à conséquence sur l'éducation, de manière durable", ce sont les mêmes arguments qu'on avance pour empêcher l'adoption chez les couples homosexuels (ils vont même pas jusqu'à dire que ça a des conséquences graves, ils disent juste que ça pourrait déséquilibrer l'enfant et qu'un enfant d'homo pourrait devenir homo, mon dieu, quelle prédestination, on frôlerait l'accident de natalité, vous vous rendez compte ma bonne dame !!!).
Parents oppressants... Et si nous demandions à nos parents et nos grands parents comment étaient leurs parents avec eux ? Rien que ma mère, se planquait dans les toilettes au fond du jardin, avec les scorpions, lorsqu'elle faisait une connerie, de peur que sa mère la tabasse à coups de ceinture... Mon père se faisait détruire ses disques des beatles, "musique de zazous !" - mon grand père était militaire, on négociait pas trop avec lui.
Mes parents ont survécu, ah oui ils ont peut être pleuré pas mal de soirs dans leur vie de se sentir minables, mais ça c'est notre lot à tous, je crois. Je connais peu de gens qui n'aient rien à reprocher à leur enfance.
Alors oui, cette souffrance on est seul dans sa tête, à la vivre. Et on aimerait bien l'éviter, comme on a voulu éviter les accidents de la route en inventant la ceinture de sécurité. Après tout, c'est ça, progresser : ne pas reproduire ce qui nous est néfaste.
Moi c'est ça que je reproche à ton discours : il reprend précisément la dynamique d'affaiblissement des personnalités. De génération en génération, les gens lisent moins (en littérature on apprenait que le français moyen ne lit en moyenne qu'un demi livre par an), sont moins curieux, apprennent moins de choses (gros problème des cabinets ministériels d'éducation nationale dans les pays occidentaux, ça, à tel point qu'obtenir le poste "ministre de l'éducation nationale" est presque pris comme une punition au sein d'un gouvernement)... Ya tout un tas de choses qui obéissent à cette tendance, en face ya aussi des choses qui se construisent, et on peut douter ou non de leurs bienfaits (individualisme, famille "nucléaire" minimaliste ou monoparentale, etc.), mais là n'est pas la question.
Le truc c'est que dire "maman est dure, c'est à changer", là, je suis d'accord. Après tout, on a voulu exclure la violence de nos valeurs, la force physique est une valeur qui périclite, pourquoi pas ? J'ai rien contre. Mais dire "maman est dure, c'est dangereux", je trouve ça un peu gros. C'est à se demander comment nos grands parents sont venus au monde et ont grandi ! Comme si ces valeurs ont toujours existé !
La norme ça n'est pas une enfance sans souci, la norme c'est de croire que cette enfance sans souci n'est pas un idéal mais un fait répandu (comme pour la santé, cf. plus haut).
Et la conséquence que je trouve malheureuse, d'une part, c'est que ça fait de nous des douillets, des mauviettes de l'éducation. C'est comme si j'avais un gamin et qu'il me disait "j'ai pas un ordinateur, j'ai donc une enfance malheureuse", tout ça parce qu'à la télé on dit que la norme c'est que chaque foyer ait un ordi.
Si encore on vivait dans un monde exempt de violence, et d'oppression, là, ok, ça serait justifié, de dire que "maman oppressante c'est pas NORMAL". Mais c'est même pas le cas dans les pays les plus riches et les moins violents !
... et d'autre part, je sais pas si ça sera le cas un jour. Qu'on aille vers une pacification des moeurs, pourquoi pas, je disais que j'ai rien contre ça, bien que je doute qu'une fois l'éducation "nettoyée", il n'y ait pas quelques écueils qui apparaissent à fleur de l'eau... Par exemple, les violences ne sont plus dans les rues, mais de plus en plus dans les couples. On ne rejette pas la nature humaine sans s'attendre à ce qu'elle ressurgisse ailleurs. Enfin passons.
Nettoyons, donc, l'éducation de sa violence parentale, physique comme psychologique, ok. Mais de là à vouloir la vitrification immédiate... Une mère oppressante ça reste encore un truc assez courant, hein. (j'ai même pas pris pour exemple le coup de la mère juive dans les histoires populaires, tu notes)
Alors oui c'est un combat, et c'est un combat digne, que de vivre avec un tel poids ! Vivre en se battant pour se forger une estime de soi, une capacité à communiquer, à s'affirmer, et passer vingt ou trente ans de sa vie à ça, bien sûr que c'est pas un petit combat, du moins à notre époque où on nous fait miroiter des vies princières à la téloche ou même chez les voisins... Bien sûr que cette souffrance, on est seul, dans sa tête, à la vivre, et bien sûr qu'on aimerait avoir grandi avec des parents aimants et doux...
Mais ça reste un malaise "de luxe", du moins suffisamment pour qu'on ne dise pas que "c'est dangereux", juste "c'est chiant". C'est pas minimiser, c'est remettre les choses à leur place. Je dis, c'est un combat que moi même j'ai eu, et pas qu'un peu, et franchement je m'en serais passé, oui ! Mais la vie se limite pas à ça... et c'est elle qui un jour nous fout un coup de pied aux fesses et nous dit d'avancer plutôt que de nous morfondre, non ? ;)
Pis voilà.
Par défaut j'essaie de condamner personne, "fort" comme "faible", je me dis que si on n'a pas aimé notre enfance, notre seul pouvoir reste quand même de ne pas répéter les mêmes erreurs, et en parler autour de nous. Mais condamner moman ou essayer après coup de faire l'oiseau de mauvais augure, je crois pas que ça soit efficace.
Demain tes enfants diront peut-être de toi que tu es "dangereuse" parce que tu étais idéaliste à leurs yeux, et te tiendront peut-être responsable de leurs cacas nerveux... Imagine ! :lol:
Les valeurs évoluent tellement vite...