Des chercheurs américains ont proposé, dans la revue Psychological Review (2012), une esquisse de théorie dite sociale cognitive pour décrire les différences psychologiques entre les classes sociales.
La classe sociale d'une personne, décrivent Michael W. Kraus de l'Université de l'Illinois et ses collègues (1), est façonnée par ses ressources (richesse, éducation, travail) et sa perception du rang qu'elle occupe comparativement aux autres dans la société.
Leur théorie vise à décrire comment le contexte que constitue la classe sociale influence différents processus psychologiques de base. Ils proposent que ces contextes induisent des patterns cognitifs fiables (qui se retrouvent, en moyenne, dans les groupes mais pas nécessairement chez chaque personne du groupe) :
chez les personnes de classe défavorisée : une orientation cognitive et relationnelle tournée vers l'extérieur et le contexte ; un sentiment que leurs propres actions sont chroniquement influencées par des forces extérieures à leur contrôle.
chez les personnes de classe favorisée : une orientation solipsiste (basée sur leur propre conscience et leurs états intérieurs) et individualiste ; un sentiment que leurs dispositions ont une influence fondamentale sur leurs choix et leurs actions.
Ils ont formulé 9 hypothèses liées à ce modèle et analysé les études qui s'y rapportent. Alors que les classes sociales se situent sur un continuum et qu'une certaine mobilité est possible au cours de la vie, ils se sont centrés sur les deux extrémités : les pauvres et les riches.
La classe sociale et le concept de soi
Le concept de soi réfère à la façon de se concevoir soi-même.
Hypothèse 1 : Les personnes de classe sociale défavorisée sont plus vigilantes par rapport aux menaces que celles de classe aisée. Leur environnement est plus vulnérable et comporte davantage de menaces externes (notamment, mentionnent les chercheurs, un système de justice plus sévère à leur égard). Cette plus grande vigilance peut être manifeste de plusieurs façons : activation physiologique indiquée par les niveaux de cortisol (hormones du stress) ; peur accrue de rejet dans les milieux académiques… Des études montrent par exemple que les personnes des classes plus défavorisées ont développé une plus grande capacité de détection des émotions menaçantes d'amis proches. La vigilance accrue peut contribuer à expliquer leur moins bonne santé.
Hypothèse 2 : Les personnes de classe défavorisée ont un sentiment réduit de contrôle personnel comparativement à celles de classe aisée.
Plusieurs études ont montré un lien entre le revenu et le sentiment de contrôle dans différents domaines de la vie. Comme la vigilance, le sentiment de contrôle semble lié santé. Voyez : Le sentiment d'avoir un contrôle sur sa vie est lié à une plus grande longévité.
Hypothèse 3 : Les personnes de classe défavorisée ont un concept de soi plus communautaire (elles se définissent davantage par les appartenances et les connexions sociales) comparativement à celles de classe aisée qui ont un concept de soi plus personnellement agentique (constitué par leurs propres choix, leurs capacités de contrôler leur vie et leur démarcation des autres).
Les personnes de classe défavorisée sont plus susceptibles de changer leur conception d'elles-mêmes pour correspondre aux demandes du contexte social alors que celles de classe favorisée sont plus libres d'exprimer leur personnalité à travers différents contextes.
La classe sociale et la perception sociale
Hypothèse 4 : Les personnes de classe défavorisée présentent une plus grande empathie que celles de classe aisée. Plusieurs études ont montré leur plus grande capacité à identifier et partager les émotions des autres.
Hypothèse 5 : Les personnes de classe défavorisée sont plus susceptibles d’attribuer leurs résultats personnels aux événements et à l'environnement alors que les riches attribuent leurs résultats à leurs forces personnelles. Ce style attributionnel a tendance à être généralisé dans la compréhension d'une diversité de situations et a plusieurs implications (notamment au niveau de la motivation).
Hypothèse 6 : Les personnes de classe défavorisée ont tendance à croire que les catégories sociales sont construites socialement alors que celles de classe aisée ont tendance à croire qu'elles sont basées sur les qualités essentielles des personnes. La croyance que les catégories sociales sont basées sur des qualités essentielles appuie l'idée, chez les favorisés, que les hiérarchies sociales sont justifiées.
La classe sociale et les relations interpersonnelles
Hypothèse 7 : Les personnes de classe défavorisée ressentent davantage de compassion et se comportent de façon plus prosociale que celles de classe aisée. Des travaux récents sur la compassion appuient cette hypothèse. Une prédiction liée à cette hypothèse est que les personnes de classe aisée sont plus susceptibles de s'engager dans des comportements non éthiques et antisociaux. Des résultats préliminaires vont dans cette direction.
Hypothèse 8 : Les personnes de classe défavorisée utilisent davantage de stratégies relationnelles communautaires, alors que celles de classe favorisée utilisent davantage des stratégies d'échanges. Dans les relations d'échanges, les individus cherchent à négocier des avantages à valeur égale et ils gardent la trace des coûts et des avantages. Dans les relations communautaires, les bénéfices sont accordés de manière inconditionnelle sans préoccupation d'égalité. Cette hypothèses découle des précédentes et reste à démontrer dans divers types de relation. Les études sur ce sujet n'en sont qu'à leurs débuts. Plusieurs implications sont à investiguer : par exemple, les déterminants de la formation des relations amoureuses et de la satisfaction dans celles-ci.
Hypothèse 9 : Les jugements moraux des personnes de classe défavorisée portent prioritairement sur la pureté et le tort aux autres alors que ceux de la classe aisée priorisent les droits individuels, le respect et l'autorité. En raison de leur plus grande tendance à l'empathie, les gens des classes défavorisées estiment que faire du mal est immoral ; en raison de leur statut à préserver, les gens de classe favorisée ont une plus grande tendance à valoriser les droits individuels et le respect de l'autorité.
Cette esquisse de théorie, mentionnent les chercheurs, propose plusieurs questions de recherche qui commencent à peine à être explorées. Par exemple : comment les comportements peuvent-ils agir comme signaux révélant la classe sociale ; quelles sont les conséquences de traverser les barrières des classes, quels sont les processus d'acculturation vécus lors de la mobilité sociale, etc.
(1) Référence: Michael W. Kraus, Paul K. Piff, Rodolfo Mendoza-Denton, Michelle L. Rheinschmidt, Dacher Keltner (2012), Social Class, Solipsism, and Contextualism: How the Rich Are Different From the Poor, Psychological Review.
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