Ce que j’écris ici n’est pas facile à raconter. Bien au contraire, même, mais ce n’est pas mon sujet de discussion, aujourd’hui.
J’ai toujours été très timide. Et, malheureusement, les années passant et mes différentes expériences n’ont pas amélioré la situation, loin de là même !
Alors que j’avais 13 ans, je suis devenu la victime de choix dans mon collège. On ne s’en rend pas compte, mais ce genre de chose peut arriver assez facilement. J’étais la personne dont il était très facile de rire. Mes camarades de classe, filles et garçons, aimaient à se moquer de moi. Bien sûr, au début ce n’était que quelques blagues et jeux de mots sur mon nom de famille. Mais c’est très vite devenu plus méchant. Ce n’était plus des blagues, c’était des insultes, sur moi, ma famille, mon physique, ma façon de marcher, ma façon d’écrire, ce que j’écrivais d’ailleurs dans mes rédactions de français. Peut-être que cette situation aurait été plus supportable si j’avais eu au moins un ami pour me dire que c’était des conneries, et de ne pas les écouter. J’avais deux personnes que j’appelais mes « meilleurs » amis au début de cette horrible année scolaire. Ce furent les deux personnes qui m’attaquèrent avec le plus d’acharnement. Maintenant, je peux comprendre leur raison : s’ils ne m’avaient pas attaqué, ils pouvaient craindre devenir eux aussi des exclus sociaux ; ils étaient donc parmi les plus féroces de mes tourmenteurs. Camus l’a fort bien montré : qui juge mieux que ceux qui ont le plus de chance de se retrouver sur le banc des accusés ?
Mais imaginez-vous l’effet que cela peut avoir sur un grand timide ? Que craint un timide, d’abord ? Tout simplement, il craint gêner les autres. Il a peur de les importuner, tant et si bien que ces personnes le rejetterait. C’était tout moi. Ca l’est encore. Mais quand vos propres amis vous repoussent ainsi, que pensez-vous, dans un recoin sombre de votre esprit ? Vous pensez les avoir trop importuné. Vous pensez vous êtes montré trop ouvert. Vous vous sentez coupables. Et, évidemment, vous commencez à vous penser la question : « et si tout ce qu’ils me disaient était vrai ? ». Vous vous renfermez complétement. Vous vivez une vie plus heureuse grâce à votre imagination, tout en restant enfermé chez vous car désormais vous croyez que le moindre éclat de rire entendu dans la rue vous est destiné. Voilà comment, à 13 ans, j’étais un désastre moral et psychologique.
Heureusement, d’une certaine façon, mon père se vit affecté dans une autre ville, et je commençais l’année scolaire suivante dans une ville différente. Mais là, j’étais décidé à tout faire pour que ça ne recommence pas. Ne pas avoir d’amis était une torture ; j’ai donc décidé de me faire des amis parmis ceux qui jamais ne me trahiraient pour ne pas ternir leur image dans ces groupes de jeunes requins sans morale ou raison. J’ai choisi, le plus machiavéliquement possible, mes amis parmis ceux qui étaient repoussés par tous, des sans castes. Peu à peu, ainsi, je me fis une autre vie. Je m’ouvrais moins, et je calculais véritablement ce que je faisais de mes très très rares, et très triées sur le volet, amitiées.
A cet âge, les garçons et les filles commencent à se regarder différements, c’est les premières soirées, les sorties en groupe, les premiers flirts, les premiers baisers. Mais j’avais crée autour de moi une bulle, où tout ceci n’existait pas. Avec mes « amis », nous nous racontions des blagues, nous allions jouer dans les salles d’arcade, nous allions voir les derniers blockbusters américains. Mais nous ne parlions jamais de nous. Nous ne parlions jamais de nos vies, d’ailleurs. Pour nous, nos vies se résumaient au collège, et en dehors ce n’était que des heures vides, qu’on remplissait de jeux vidéos et de séries télé.
Deux années passèrent ainsi. Puis vint ma première année de lycée. Et là, tout bascula.
J’étais assis, comme d’habitude, au deuxième rang dans ma classe d’anglais (là encore un calcul, puisque la prof ne pouvait pas voir ce que j’écrivais ou pas tandis qu’elle concentrait son attention sur les rangs situés derrière, et j’étais ainsi loin de tous les groupes qui pouvaient me prendre comme victime de leurs mots). Seul, comme d’habitude aussi, mon seul ami de l’époque (l’autre venant de déménager) suivant des cours d’allemand.
Et là, une jeune fille de ma classe, que j’avais croisé dans les couloirs sans vraiment la regarder, s’assit à côté de moi en me disant « j’étais toute seule sur la table du fond, alors vaut mieux qu’on soit à deux sur une table pour trois que seul comme des cons chacun sur notre table ! ». Ce n’était pas la première fois que j’étais assis à côté d’une fille, évidemment. Mais c’était la première fois où une fille s’asseyait volontairement, les précédentes étant dues aux idées des profs ou aux aléas de l’alphabet.
On commenca à parler, et on s’entendit assez bien. Cette fille avait une verve fracassante, et le sarcasme rapide et précis comme un coup de fouet. J’adorais tout de suite les attaques irrévérentieuses qu’elle me lançait : non seulement elles étaient drôles, mais elle ne les lançait que pour me taquiner ! Peu à peu, je vins à attendre avec impatience ces cours d’anglais, n’osant pas parler avec elle en dehors, lorsqu’elle rejoignait son petit groupe d’amis. Bref, peu à peu je tombais amoureux d’elle.
A ce moment-là se posa un immense dilemme : je ne savais absolumment pas quoi faire ! Il n’était pas question pour moi de demander à mes parents, ceux-ci ayant réagis assez mal à ce qui m’était arrivé quelques années plus tôt, et je ne voulais pas en parler à mon « ami » afin de ne pas lui donner une arme pour me frapper dans le dos. Je me lançais donc au hasard. Je vous épargnerai les détails, mais ce fut un échec sur toute la ligne. Ca dura comme ça pendant deux ans. Après mon bac, je débutais une année de prépa, où je m’étais juré enfin d’évoluer et de trouver une copine. Je passerai les détails, échec cuisant sur échec cuisant. Pendant ce temps, je continuais à dialoguer de ci de là avec mon amie de lycée, par lettres (elle est assez vieux jeu de ce côté là), avant qu’elle n’arrête de répondre après que j’ai, par hasard, laissé échappé que j’éprouvais quelque chose pour elle (bien que je n’ai jamais eu de confirmation que ce soit bien la raison qui la poussa à arrêter de me répondre). Je profitais de mon année pour découvrir les sorties en boîte et les gueules de bois. Aucun des deux ne m’attira particulièrement : je découvrais que ma seule chance de séduire une fille résidait dans mon humour (je découvrais d’ailleurs que j’en avais un) et non dans mon physique (je n’en possède aucun, il faut le reconnaître), hors en boîte il est assez… difficile de parler et d’être entendu. Quant aux cuites, je découvrais que j’avais l’ivresse très triste, au bord de la dépression (ce qui fait chier tout ceux présent, et surtout moi). Après cette prépa, je découvrais le monde de la fac dans ma grande école. J’étais décidé à oublier mon amie de lycée, et j’essayais de me faire des amis qui, je l’espérais, pourrait enfin me faire revenir dans ce monde que je considérais plus « réel » que celui où j’étais. Là encore, ce fut plus ou moins loupé. Une autre année, et d’autres échecs avec des filles, passa. Dans ma deuxième année, je perdis d’abord un ami (qui avait décidé d’arrêter cette école, et rentra chez lui à l’autre bout de la France). Puis je perdis une amie (je n’avais, encore, que deux amis), cette fois car je découvrais que c’était une vraie pute envers tout le monde, n’hésitant pas à utiliser ses ami(e)s et petits copains lorsqu’elle avait besoin de compagnie (rien de sexuel, juste pour conversation, pleurer sur leurs épaules et aller se ballader), et se contre-foutant de ce qu’ils pouvaient ressentir (une de ses amies essaya de se suicider, et elle s’en fichait comme du temps qu’il faisait le 23 mars de l’an IV). Je me retrouvais à nouveau seul, avec un sentiment de défaite horriblement difficile à accepter. Je songeais à plusieurs reprises à me suicider moi-même, mais j’ai la vie plus solidemment ancrée en moi q’une bernicle accrochée à son rocher et je décidais de poursuivre, en espérant que peut-être un jour le vent tournera.
Au fait : depuis ma première année dans cette école, j’avais écrit dans le journal de l’établissement, sous pseudo, et je rencontrais un succès assez flateur par mon humour. Evidemment, bientôt presque tout le monde apprit que c’était moi l’auteur d’articles vengeurs, drôles et plein de sarcasme envers moi, et vint me féliciter. Certains et certaines se rapprochèrent même de moi. Mais je découvris qu’ils appréciaient ce simili-journaliste, ce personnage que je m’étais crée et qui, il faut bien l’avouer, me ressemblait aussi bien que je ressemble à Nelson Mandela. Lui siffle les filles, adore regarder dans les décolletés, se bourre la tronche tous les deux soirs, sort en boîte et danse comme un dieu, et il est se contre-fout de ce que pensent les gens de lui. Moi, à côté, j’adore regarder les filles mais une part de moi me rabbroue toujours, me disant que non ce n’est pas poli de fixer les seins d’une fille parce qu’elle n’a pas mis de sous-tif sous son t-shirt, et que je devrai leur montrer un peu de respect quand même. Le reste, vous pouvez le deviner.
Bref, je découvrais que ces personnes appréciaient le personnage, et pas ma personne qu’ils ne connaissaient absolumment pas. Mes contacts avec eux étaient donc rares, et étant totalement seul lors des intercours je pris l’habitude d’amener un livre et de bouquiner. Je sais que cela a dû repousser quelques personnes, se disant que j’étais un solitaire acharné, mais le fait est qu’à l’origine je l’ai fait car lire est la seule façon pour moi de vraiment m’évader et d’éviter de penser que je suis tout seul, ce qui me lance irrémédiablement dans une spirale infernale de dépreciation personnelle.
Cette deuxième année passa ainsi. Aujourd’hui, j’en suis à ma 3ème année. A l’étranger dans le cadre de mes études, je corresponds avec ces personnes « amis » de mon personnage. Invariablement, je signe mes réponses à leurs mails de mon pseudo, en espérant secrétement qu’un jour ils comprendront qu’ils n’ont pas affaire à moi. Pendant l’été dernier, j’ai aussi repris contact avec mon amie du lycée, son souvenir me hantant littéralement, au point que je ne cherchais qu’à sortir avec les filles ayant ne serais-ce qu’un trait de ressemblance avec elle (plus particulièrement avec son humour mordant). Je redevins son ami, celui à qui elle dit parfois ses soucis et ses peurs, mais elle me fit clair au nouvel an que jamais on ne serait plus, à mon grand chagrin. Un mois après, la douleur est passée, et j’espère que ces paroles, que cet éclaircissement dans nos relations tellement attendu depuis le lycée (je ne savais jamais sur quel pied danser, ne sachant pas ce qui, pour une fille, pouvait être une invitation ou un simple geste d’amitié…), me permettra enfin de tourner cette page de ma vie, et de peut-être arrêter de penser à elle sans arrêt. Ca commence, légéremment.
Reste que je suis toujours tout seul. Je fuis les fêtes organisés par les personnes avec qui je travaille, sachant au fond de moi qu’invariablement je finirai seul dans un coin, n’arrivant jamais à m’intégrer dans une conversation ou un groupe.
Et cette peur qui a commencé à me hanter en prépa se fait de plus en plus forte. J’ai peur, aujourd’hui, de vivre ma vie seul, toujours. De ne vivre véritablement que la journée au travail, avant de rentrer le soir dans un appartement vide, comme un robot. Depuis des années, j’ai essayé de m’ouvrir aux autres. J’ai essayé, je ne sais combien de fois, de m’intégrer dans un groupe, que ce soit à la fac, dans des fêtes (auxquelles je me forcais à aller, en pensant que ça montrerait peut-être que j’étais pas un hermite), dans les bars, n’importe où. Sans succès. Plus le temps passe, plus j’ai l’impression d’être complétement différent. Pas que ce soit un mal. Mais je n’ai pas l’impression de partager les mêmes choses que les personnes de mon âge. Ils peuvent parler de fêtes, de choses folles qu’ils ont fait avec des amis, de petits copains et copines passées. Et moi, en face, je ne peux qu’écouter, n’ayant rien à raconter. De quoi pourrai-je parler ? De la littérature humoristique en Grande-Bretagne ? De la politique mondiale ? J’ai l’impression d’être un martien que les gens croient comprendre, alors qu’ils ne captent à peine qu’un quart de mes paroles.
Voilà ma situation aujourd’hui. Mon enfer personnel, comme j’aime à y penser quand j’ai le moral. Heureusement, mon travail me fatigue assez pour que je ne pense pas trop souvent à ma situation sociale. Mais je sais que quand je reprendrai le cours normal de mes études, ce sentiment de vide me reprendra aussi. Je sais que je n’aurai jamais le courage de me tuer. Mais j’appréhende ce futur qui, pour moi, ne contient qu’une vie professionnelle sans grand goût.
Voilà. Vous avez mon histoire, dans les grandes lignes. Je doute, non, je suis sûr que vous n’arriverez pas à produire une réponse valable à ça, car vos expériences, votre passé, font de vous des personnes incapables de gêrer mes problèmes, voire même de les comprendre pleinement. Mais je voulais, pour une fois, que quelqu’un sache vraiment ce qui retourne de moi. Pas un article brillant dans lequel je me flagelle sous les rires de mes lecteurs. Mais un vrai morceau de moi, sans fard, sans sarcasme, sans chute marrante. Pour que, peut-être, quelqu’un sache enfin qui je suis, et non pas ce que je donne l’apparence d’être.
Ah, et pour ceux qui se demandent maintenant comment je fais pour survivre : les livres. Il m'en reste encore à trop à lire pour que je parte maintenant.