Je me demande en vous lisant tous ce que vous faites de l'objectivité. Et ce n'est pas un reproche mais l'expression d'une terrible impossibilité. Car je me débats dans ma propre histoire sans parvenir à y voir clair le moindrement.
Lui, je l'ai connu il y a maintenant six ans. Coup de foudre géant, on avait tout en commun, à tous les points de vue, et on s'est adorés dès le départ.
Sauf qu'il avait une conjointe et qu'il n'arrivait pas à la quitter.
On a traversé des tempêtes. Mais sans jamais cesser de s'adorer.
Et elle faisait semblant de ne rien comprendre.
Jusqu'à ce jour où je l'ai quitté en lui donnant un ultimatum et où il l'a finalement affrontée.
Ont commencé des jours d'enfer. Elle devait partir mais ne partait pas. Et il n'osait pas la confronter à nouveau.
J'ai sombré doucement : je ne dormais plus, ne mangeais plus, perdais mes cheveux par poignées.
Lui allait aussi de plus en plus mal. Il maigrissait à vue d'oeil.
Un beau jour il m'a annoncé qu'il allait finalement rester avec elle.
Ce jour-là j'ai perdu pied, erré en plein soleil des heures durant, passé la nuit hébétée, les yeux grands ouverts fixés sur je ne sais quoi, et le lendemain matin j'ai fait le tour de mon appartement pour ramasser dans un grand sac poubelle tout ce qui pouvait me le rappeler en pleurant enfin.
Le surlendemain il a téléphoné, éperdu, pour me dire qu'il ne savait plus rien et ne souhaitait pas qu'on se perde.
Elle a fini par partir.
Mais s'est encore accrochée. Et je crois que lui et moi n'avions plus la force nécessaire. Nous nous voyions beaucoup moins, je luttais pour mes cheveux, pour ma santé, il était sous anti-dépresseurs et en arrêt de travail.
Finalement, il y a 9 mois, 15 jours après m'avoir dit "Tu ne peux pas savoir comme tu m'es essentielle !" il m'a annoncé qu'il était tombé amoureux d'une autre avec laquelle ça n'avait pas fonctionné mais qu'il voulait m'en avertir honnêtement. Et a conclu que ses sentiments pour moi n'étaient "plus pareils".
C'était juste ce qu'il manquait pour achever de nous saper. Je lui ai demandé de ne plus appeler et j'ai commencé un impossible deuil.
Tomber amoureuse ailleurs semble infaisable mais j'ai rencontré des hommes, me suis changé les idées.
Il y a quatre jours j'étais au petit café où je mange parfois le midi. J'ai posé mon plateau sur la table, me suis détournée pour déposer ma veste sur le dossier de la chaise, et quand je me suis retournée à nouveau il était là; assis juste en face de moi. Neuf mois plus tard !
Il a dit qu'il passait par hasard dans le coin, savait que c'était mes heure et lieu, était venu me dire bonjour. J'ai voulu savoir s'il était toujours suivi par un psy et il m'a mal comprise. Il a dit que oui, il voyait une autre femme.
Et puis qu'il avait lâché tous les anti-dépresseurs mais était suivi par son psy.
Il m'a demandé si je savais comment il se faisait qu'on en soit là tous les deux, que lui ne comprenait pas, qu'il restait pourtant si peu à faire, vérifier que nous étions capables de vivre ensemble, que ma fille pourait s'adapter.
Il a dit qu'il avait dressé la liste des choses qu'il aimait de moi et de celles qui l'énervaient, que la seule chose en ma défaveur était mes deux chats.
Il a dit qu'il se demandait comment il avait pu en venir à envisager un seul instant son avenir sans moi.
J'ai parlé de son attitude lointaine voire indifférente des derniers temps et il m'a répondu qu'il n'était "pas là", pas lui-même, drogué par les médicaments qu'il prenait.
J'ai suggéré qu'on n'avait peut-être pas été assez ouverts l'un avec l'autre et il s'est récrié : sexuellement, émotionnellement, artistiquement... à tous les points de vue on avait l'ouverture et la connexion maximum...
Et puis voilà. On s'est séparés au bout d'une heure parce qu'on avait chacun nos obligations. Et c'est tout.
Et je me retrouve dans la même torture et la même impuissance qu'en un autre temps, le sachant dans d'autres bras et ne souhaitant plus, cette fois, que m'en tenir à distance, mais hantée par ses mots et par son apparition, jeudi, comme un soleil d'été au bout de mon tunnel.
Je le maudis puis l'adore à nouveau, consciente du fait que les mois et les rencontres n'ont pas abîmé mes sentiments le moins du monde.
Lui laisser savoir ma colère, qu'il se doit de garder ses distances et qu'il me fait souffrir ?
L'appeler, lui ouvrir les bras en espérant qu'il veuille bel et bien tout redémarrer entre nous ?
Et qu'est-ce que moi je veux ? Qu'est-ce que c'est que cet amour qui n'aboutit jamais mais refuse de mourir ?