Réponse à: TÉNÈBRE (croit depuis l'enfance ne pas avoir de place dans le monde)
Surnom: TÉNÈBRE
Âge: 22
Sexe: masculin
Bonjour,
depuis mon enfance, j'ai toujours su que je n'avais pas ma place dans ce monde, plusieurs évènements me l'ont confirmé;à la maternelle, je me faisais frapper par les autres élèves, à six ans,un garçon a ----- de moi,et cela s'est reproduit à l'âge de onze ans, au collège, par un autre; et les "malchances" ont continué jusqu'à aujourd'hui. Depuis trois ans je consulte une psychiatre qui n'arrête pas de me parler d'hospitalisation, car elle pense qu'il y a danger (automutilation et pensées suicidaires); je ne vois pas ce que l'hopital pourrait changer à cette situation; je ne me supporte plus, c'est comme s'il y avait deux volontés contradictoires en moi, je n'arrive presque plus à contrôler mes actes, si vous pouviez m'aider, je vous en supplie...
Ténèbre.
Bonjour Ténèbre.
Comme vous devez être malheureuse de tout ce que vous me racontez là. Comme vous devez souffrir. Vous me parlez de la maternelle et du reste de votre vie qui, selon vous, a servi à « confirmer » que vous n'aviez pas votre place dans le monde. Je soupçonne que, bien avant la maternelle, vous aviez déjà cette hypothèse de ne pas avoir votre place dans le monde. Et les événements qui sont arrivés par la suite ont confirmé tout ça. Pourtant, Ténèbre, ça ne peut pas être vrai. Chaque être a sa place dans le monde et chaque être se fait une place dans le monde. Encore faut-il en être convaincu. Et c'est ce qui vous manque.
Lorsque vous étiez à la maternelle, lorsque vous aviez six ans, puis onze ans, vous étiez trop jeune pour raisonner et réfléchir adéquatement sur ce qui vous arrivait. Vous étiez seulement une petite fille dépourvue que l'on a traîné dans la boue. La petite fille a alors cru qu'elle n'avait pas de place ici-bas. Elle a continué avec cette hypothèse et tout ce qui est arrivé par la suite a servi à la convaincre davantage.
Mais aujourd'hui, vous avez 22 ans. Prenons une autre hypothèse. Supposons qu'il y a en vous comme deux personnes : une femme de 22 ans qui veut s'en sortir, consulte une psychiatre depuis trois ans et écrit cette lettre puis une petite fille de 5 ans qui croit très fort ne pas avoir sa place dans le monde. Il y a de quoi sentir qu'il y a en vous deux volontés contradictoires, n'est-ce pas? Il y a de quoi se sentir partagée, comme écartelée entre le désir de vivre et le désir de mourir, n'est-ce pas?
Vous êtes à un tournant de votre vie, Ténèbre. Vous êtes à ce moment crucial où vous pouvez croire la petite et vous enfoncer davantage dans l'automutilation et les pensées suicidaires jusqu'à ce que vous disparaissiez de ce monde. Vous pouvez aussi croire la grande et lutter pour vivre, en prenant soin de cette petite et en lui révélant le grand secret de la vie. Et ce grand secret est que c'est elle qui se trompe. C'est elle qui, en croyant très fort ne pas avoir de place, se met dans la même position que ses abuseurs : elle se dit à elle-même qu'elle ne vaut pas la peine. Elle se fait mal comme ses abuseurs lui ont fait mal. C'est le triomphe du trauma, en quelque sorte. Les gens lui ont fait des choses dégueulasses et maintenant, elle se fait des choses dégueulasses. Il est grand temps qu'on s'occupe de cette petite et qu'on lui dise que ce sont les abuseurs qui avaient tort. Il est grand temps que la femme de 22 ans intervienne avec force et lui dise : ça suffit! On va vivre toutes les deux et montrer au monde entier qu'on a de la place. Et cette place, on va se la faire à coups de caresses, de soins pour soi et de traitements psychiatriques s'il le faut. Mais on va se faire une place.
Personne, je crois bien, ne va vous dire que ça va être facile. Même votre petite intérieure vous répondra que « ça ne vaut pas la peine ». Mais elle est petite et ne peut pas raisonner comme une grande. Elle a besoin de se faire prendre et de se faire diriger.
Apprenez donc à identifier dans vos pensées et vos attitudes celles qui viennent de la grande et celles qui viennent de la petite. Retournez voir votre psychiatre et que la femme en vous discute avec elle des traitements possibles pour la petite. Et foncez.
Faut-il vous hospitaliser? Je n'ai pas la réponse à cette question. Discutez-en avec votre psychiatre. Mais que la grande travaille très fort AVEC la psy du meilleur traitement possible pour la petite, cette pauvre petite fille qui a cru un jour ne pas avoir de place en ce monde, une place qui pourtant aurait dû lui être acquise et qu'à partir de maintenant, vous allez travailler à lui redonner.
Bonne route, Ténèbre.
Vous pouvez le faire.
Jean Rochette, Psychologue