Réponse à: SOPHIE-ANNE (incertitudes concernant mon avenir)

Surnom: SOPHIE-ANNE
Pays: France
Âge: 27
Sexe: féminin

Bonjour à tous,

Tout d'abord, je tiens à vous exprimer ma grande admiration pour le travail que vous effectuez. Je visite toujours votre site avec beaucoup d'intérêt, tant les questions posées que les réponses que vous y apportez m'ont beaucoup appris, et j'aime beaucoup les lire, même si la souffrance qu'y dévoilent beaucoup de personnes m'attriste.

J'ai hésité longtemps à vous écrire, car, précisément, j'ai des difficultés à bien cerner mes problèmes actuels. Je crains de ne pas être assez claire et de vous faire perdre de votre temps en décrivant une situation qui n'est peut être pas si grave.

Je suis la dernière et la seule fille d'une famille de trois enfants.Mon enfance s'est déroulée sans gros problèmes, si ce n'est que mon père, qui avait un travail très prenant et très stressant impliquant beaucoup de responsabilités, se mettait souvent en colère contre moi et l'ambiance familiale en souffrait. Ma mère disait que c'était de ma faute, qu'avant ma naissance, tout allait bien, que mon arrivée a tout gâché. Je percevais qu'elle était souvent triste, et j'ignorais pourquoi. Plus tard, elle était très exigente envers moi, concernant mon comportement, mais surtout ma réussite scolaire. Elle voulait que j'aie les meilleures notes de la classe, et je réussissais à les obtenir. Jusqu'à 11 ans, j'ai été tête de classe sans faillir. Mes camarades et mon institutrice m'admiraient, et me considéraient comme surdouée. A cette époque, j'ambitionnais de devenir médecin, et ma mère était fière de moi.

Ensuite ma vie est devenue intenable, car je suis devenue le souffre douleur de mes camarades. Au collège, presque tout le monde me détestait, et je n'avais pratiquement pas d'amis. Pour se moquer de moi, et pour m'humilier, les autres adolescents de mon âge rivalisaient d'imagination, surtout les garcons. Chaque jour avant de me rendre en cours, j'étais terrifiée et j'avais mal au ventre. J'en étais malade. J'ai réussi à conserver mes bonnes notes, malgré ma tristesse et ma souffrance. J'avais l'impression d'être maudite, et je me disais que les autres avaient raison de me détester, car j'avais honte de moi, et je me haissais. A 13 ans, j'ai souvent pensé au suicide, mais je n'ai jamais osé passer à l'acte. Je ne voulais pas mourir, juste vivre mieux et être aimée.

Au lycée, je n'ai plus pensé à me supprimer. La situation était toujours aussi difficile, mais j'y étais accoutumée. Je savais que les moqueries et le mépris constituaient mon lot quotidien et, peu à peu, je me suis barricadée, coupée de moi-même. Je ne souffrais plus vraiment, je subissais seulement. Mes parents ne m'ont pas comprise. Mon père, absorbé par son travail, n'a rien vu, et ma mère me reprochait d'être toujours triste et apathique, si éloignée de la fille qu'elle rêvait d'avoir.

A 16 ans, d'un seul coup mes notes se sont effondrées. Je n'en pouvais plus, j'étais au bord de la dépression, et complètement épuisée. Ma mère l'a très mal vécu. Mes notes provoquaient de fréquentes disputes. Elle était très déçue d'avoir perdu sa petite fille brillante qui ambitionnait de devenir médecin, pour se retrouver en face d'une adolescente qu'elle trouvait médiocre. Elle me traitait de paresseuse, d'ingrate et d'égoiste, et disait que je devrais avoir honte. Ce sentiment m'accompagnait tout le temps.

Après mon bac, je me suis orientée un peu au hasard, car rien ne m'intéressait vraiment. J'étais très détachée vis a vis de mon avenir. Je considérais que j'avais perdu mes chances de réussite, le reste m'importait peu. En terminale, ma mère m'a dit que j'étais "finie", et c'est le sentiment que j'avais. J'ai donc choisi l'informatique, sans grande conviction, parce que je connaissais des personnes qui ont choisi cette voie. Là, j'ai un peu renoué avec la réussite, bien que la formation ne me plaisait pas. Mais je me suis sentie obligée de me "racheter" vis à vis de ma mère et j'ai continué.

Lorsque j'ai eu 20 ans, ma mère est tombée gravement malade. Elle était rongée par un cancer de la plèvre, maladie rare et inguérissable. Mais à l'époque, je refusais ce fait. Jusqu'au bout, j'ai cru qu'elle allait guérir. Elle a terriblement souffert durant presque deux ans, puis elle est décédée. J'ai assisté à ses derniers instants, une agonie qui n'en finissait pas. La dernière image que j'ai emportée d'elle est celle d'un corps allongé dans une morgue.

Très choquée, je suis retournée à mes études ( j'avais 22 ans, et j'étais en maîtrise ) mais j'ai encore une fois échoué, et je les ai abandonnées. J'étais très triste, et j'avais honte. Car ma mère, lors des derniers mois de sa vie, a confié à ma tante que je l'avais cruellement déçue. Elle est morte en pensant cela. Ca me fait mal.

A cette époque, j'étais dépressive, et j'avais de graves problèmes relationnels, ainsi qu'une phobie sociale assez importante. Sur les conseils de mon médecin, je suis allée voir une psychiatre, et j'ai débuté avec elle une psychothérapie. J'ai vécu une période ou je me suis sentie perdue. J'ai essayé plusieurs types d'études mais aucunes ne me convenaient. Alors j'abandonnais et je recommençais. Dans ma vie, je ne connaissais ni amitié, ni amour.

J'ai entamé une formation de deux ans en comptabilité, qui exigeait que je passe la moitié du temps en entreprise. Mais là aussi, j'ai été le souffre douleur. Mon supérieur me méprisait, et me traitait comme une demeurée. J'ai été très heureuse lorsque ça s'est terminé.

A présent, j'ai surmonté le deuil de ma mère, ainsi que les événements qui ont jalonné mon passé de "souffre douleur". Ma psychothérapie donne de bons résultats en ce qui concerne mes relations avec les autres. A mon travail, elles sont bonnes et j'ai plusieurs amis. Dans ma vie privée, je n'en ai pas encore, mais je ne désespère pas d'y arriver. Seul l'amour d'un homme me paraît encore inaccessible. J'aimerais le connaître mais je ne sais pas comment m'y prendre. J'ai tout de même encore des lacunes sur le plan des relations interpersonnelles, même si elles s'améliorent.

Ma psychothérapie m'apporte énormément, tant sur le plan intellectuel qu'émotionnel (il s'agit d'une thérapie analytique. J'entame ma 5eme année). Ce qui s'y déroule me passionne beaucoup, et je lis très souvent des ouvrages de psychologie pour améliorer mes connaissances. J'aimerais vous poser une question à ce sujet : Pourriez-vous m'expliquer comment se déroule le transfert dans le cadre d'une psychothérapie lorsque le patient et le thérapeute sont de même sexe ? ( comme dans mon cas ). Que ressent-on alors ? J'éprouve envers ma psy beaucoup d'amitié et une grande admiration. Est-ce cela ?

Ce qui me préoccupe beaucoup, tous les jours, est mon avenir, immédiat et plus lointain, car je ne sais pas du tout ce que je veux faire de ma vie. Ce qui me plairait m'est inaccessible, et ce que je pourrais faire ne m'intéresse pas du tout. J'aimerais tant m'épanouir dans ma vie professionnelle et faire un métier que j'aime, mais je doute beaucoup de mes capacités. Je me sens stupide, et j'ai l'impression d'être la ratée de la famille, car mon métier n'est ni très considéré ni très rémunéré alors que mes frères ont brillamment réussi ( ils sont ingénieurs ). J'aimerais reprendre des études, mais j'ai peur d'échouer, et je ne sais pas très bien dans quel domaine. Et j'en ai déjà tant faites, en vain...Mon avenir me déprime. Maintenant que j'ai réussi à me débarrasser de toute ma souffrance, ce problème stupide me gâche la vie.

Ai-je la chance de trouver un jour ma voie? Existe-t-elle seulement? Ou dois-je me résigner à consacrer ma vie à quelque chose que je n'aime pas, et rester la "ratée de la famille" ?

Voilà. J'arrête là ma "prose". Je m'apercois que ce que j'ai écrit est long, très long, sans doute trop long. J'espère que vous me pardonnerez et que je ne vous ai pas trop ennuyés. Cela me ferait très plaisir si vous me répondiez. Mais dans le cas contraire, je ne vous en voudrai pas. Je comprends que votre temps est précieux, et que d'autre personnes ont un besoin d'aide bien plus urgent que moi.

Surtout, continuez à animer ce site, et à apporter lumière, chaleur et compréhension à ceux qui sont désemparés. C'est un beau métier que vous faites.

Bonjour Sophie-Anne,

Merci, tout d'abord, pour vos gentils mots relativement à notre travail sur ce site.

Merci aussi pour votre texte qui m'apparaît être beaucoup plus un témoignage qu'une question. Je suis certain que plusieurs se reconnaîtront dans ce syndrome du «raté de la famille».

Clarifions les choses tout de suite Sophie-Anne : vous n'êtes pas la ratée de la famille. C'est une vieille croyance qui date de vos 16 ans et à laquelle vous croyez mordicus pour donner raison à votre mère. Mais celle-ci, avec tous ses sarcasmes (elle vous traitait de médiocre, paresseuse, ingrate, apathique, égoïste, finie) avait tort également. Elle vous traitait ainsi à cause de ses propres problèmes mais vous n'étiez pas tout cela ! Vous étiez brillante et probablement surdouée. Votre effondrement à l'adolescence m'apparaît être le résultat d'un stress intense et d'une absence flagrante de soutien (c'est le moins qu'on puisse dire avec un père colérique et une mère critique). J'oserais même avancer que vous avez été victime de harcèlement. N'importe quel ado se serait effondré tôt ou tard.

Par bonheur, la psychothérapie vous apporte de bons résultats et vos relations sociales s'améliorent. Vous êtes donc sur la bonne voie. Elle vous apportera aussi sécurité et solidité personnelles. À ce moment, vous trouverez votre voie et vous cesserez de vous considérer comme une moins que rien parce que votre profession n'est soi-disant pas à la hauteur de celle de vos frères.

Vos études et vos ambitions ont été sabotées par des problèmes d'ordre émotif lesquels ont été causés par une dynamique familiale perturbée. Qu'à cela ne tienne, vous avez votre place au soleil comme tout un chacun. À vous de jouer des coudes pour vous hisser là où vous voulez aller. Si vos coudes ont été quelque peu écorchés en chemin, ils vont guérir. Et en attendant, vous pouvez néanmoins garder la tête haute !

Sophie-Anne, je vous souhaite un développement personnel et professionnel à la hauteur de vos ambitions !

Bonnes pensées pour vous,

Georges-Henri Arenstein, Psychologue