Réponse à: DÉLIMA (perdu leur père par suicide)
Surnom: DÉLIMA
Pays: Canada
Âge: 26
Sexe: féminin
Je suis la mère de jumeaux de cinq ans qui ont perdu leur père par suicide lundi passé.
Je me sens moi-même très affectée par ce suicide. Il me rappelle mes propres tentatives de suicide dans le passé. J'ai beaucoup de difficulté à décrire ce qui se passe à l'intérieur de moi, je n'ose pas imaginer ce qui ce passe dans la tête de mes enfants. Je ne leur ai pas tout dit quant à la nature de la mort de leur père. Je leur ai dit qu'il était malade et que son coeur avait arrêté. Que voulez-vous dire à des enfants de cet âge là? Aux funérailles, ils ont vu leur père dans la tombe, je leur ai dit que papa était partie au ciel et qu'il les protègerait. J'ai tellement mal, je ne sais plus comment je dois me comporter avec eux. J'essaie de tenir le coup, d'être forte, mais je dois vous dire que j'ai eu moi-même beaucoup d'épreuves dans ma vie (itinérance, toxicomanie, problème de santé mentale"borderline",)mais, je me suis reprise en main depuis 3 ans.
J'aimerais être assez forte pour affronter cette nouvelle épreuve. Je me demande ce qu'il arrivera de mes enfants suite au décès de leur père. Vont-ils avoir des troubles de comportements, seront-ils perturbés longtemps? Je me sens tellement coupable de la mort de mon ex-conjoint. J'ai l'impression que mes problèmes de drogues, et mon départ, l'ont fait sombrer dans une dépression qui l'aura tué. Je vis tellement de culpabilité que je n'arrive pas à reprendre mes activités. Je suis allée chercher de l'aide, mais ...C'est trop confus...Pourriez-vous simplement m'expliquer, me décrire, bref, me rassurer concernant les phases de deuil que mes enfants auront à traverser.
Merci!
Bonjour Délima.
Vous venez de vivre une des pires épreuves qu'un être humain puisse traverser. Vous dites que vous avez de l'aide. Bien.
Vous me demandez les phases de deuil. Cette question a déjà été posée par Chantal de Belgique qui avait trouvé son frère pendu. Prenez le temps de lire la réponse à Chantal. Elle s'applique aussi à vous et à vos enfants. Dites-vous simplement que chacun a sa manière de réagir et de faire son deuil. Essayez de voir comment vos enfants vivent tout cela. Ce n'est pas nécessairement comme vous et c'est correct quand même.
Cependant, vous dites que tout est trop confus actuellement. Vous avez raison et c'est normal. Ce suicide vient juste d'arriver. Et c'est pour cela que j'aimerais prendre un peu de temps pour vous parler de l'ordre des choses.
D'abord, vous me dites que vous êtes allée chercher de l'aide. C'est excellent comme réflexe. Cette aide est-elle pour vous seulement ou pour vos enfants? Dans l'affirmative, c'est très bien. Continuez avec cette aide et n'hésitez pas à vous ouvrir clairement à cette personne qui va vous aider. Dans la négative, il faudrait aussi que les enfants puisse voir quelqu'un, au moins quelques rencontres.
Deuxièmement, Délima, je vais vous dire maintenant quelque chose de difficile à comprendre, surtout lorsqu'on est en état de choc comme vous. Prenez le temps de le lire comme il faut et d'y réfléchir. Discutez-en avec votre thérapeute et vérifiez auprès d'un Centre de prévention de suicide. Voici : vos enfants doivent connaître la vérité.
Je sais, c'est très difficile à accepter. Ça fait peur. Peur qu'ils aient envie de le rejoindre, peur qu'ils deviennent suicidaires, peur qu'ils aient un choc encore plus grand. Mais croyez-moi, c'est moins pire que s'ils l'apprennent par d'autres dans dix ans et qu'ils retiennent qu'on leur a menti tout ce temps.
Évidemment, il ne s'agit pas de leur dire n'importe comment et il serait peut-être adéquat de vous faire aider pour cela. En fait, il faut leur dire tout en ne jugeant pas mais en prenant soin d'indiquer clairement que ce n'est pas un bon choix. C'est difficile à faire. On peut par exemple expliquer : «Papa a décidé de mourir parce qu'il trouvait qu'il souffrait trop. Il s'est tué. Il s'est trompé. Il aurait pu peut-être essayer d'en parler à d'autres personnes afin qu'elles puissent l'aider. Mais il n'a pas parlé de ça à personne. Papa est parti parce qu'il a décidé ça. Il faut respecter sa décision mais nous, on va rester et on va essayer de parler de nos problèmes entre nous pour pas que ça nous arrive aussi.»
Ce n'est pas nécessaire que ce soit vous qui le leur disiez. Mais ils ont le droit de savoir et le leur cacher pourrait, à long terme, être extrêmement dommageable pour eux. Bien sûr, il ne s'agit pas d'entrer dans tous les détails sordides. Simplement de savoir qu'il s'est suicidé et comment c'est arrivé.
Pour le reste, faites confiance à vos enfants. Ils poseront les questions adéquates. Répondez-leur franchement.
Troisièmement, et c'est également très important, vous devez éviter l'éparpillement. Vous dites que vous avez une personnalité «borderline ». Vous risquez d'avoir envie de vous éparpiller, de demander plusieurs ressources à la fois, de donner de la tête bref de «tous bords, tous côtés», comme on dit. C'est un réflexe normal en état de choc comme vous et naturel lorsqu'on a une personnalité «borderline». Cependant, consulter un peu partout ne vous aiderait pas. Vous avez besoin plus que jamais d'un soutien fort et régulier. Vous avez déjà de l'aide. Limitez-vous à cette aide et si vous trouvez cela insuffisant, parlez-en à l'aide que vous avez déjà avant d'en demander d'autre. À la limite, si vous trouvez la personne inadéquate, dites-le lui avant d'en trouver une autre. Bref, centralisez vos ressources au lieu de les éparpiller. Cela vous aidera considérablement à passer au travers de cette épreuve.
Quatrièmement, tout au long du deuil qui s'amorce, il pourra vous arriver d'avoir l'impression de revenir en arrière, de vous confronter avec vos vieux problèmes que vous pensiez réglés. C'est tout à fait normal. Dites-vous dans ces moments-là que le travail que vous avez fait sur vous-mêmes n'est jamais perdu. S'il arrivait que vous reveniez sur des choses du passé, dites-vous que c'est pour les approfondir et non recommencer.
Enfin, concernant votre culpabilité, sachez qu'il s'agit aussi d'une réaction normale. Cependant, vous devriez en parler avec la personne qui vous suit présentement. Il y a un travail à faire afin de ne pas rester toujours dans cette culpabilité.
Vous avez une nouvelle épreuve à surmonter mais, vous le dites vous-mêmes, vous vous êtes reprise en mains depuis trois ans. Il n'y a donc aucune raison pour que vous ne passiez pas à travers cette épreuve avec force et courage. Bien sûr, il y aura des moments où vous sentirez vos forces vous abandonner. Ne lâchez pas. Vous avez en vous les ressources nécessaires pour affronter ce qui s'en vient.
Soyez franche, assurez-vous d'un suivi pour vous et vos enfants et tout devrait aller.
De tout c ur bon courage, Délima.
Jean Rochette, Psychologue