Réponse à: AQUARELLE (psychothérapie et corps)

Surnom: AQUARELLE
Pays: France
Âge: 36
Sexe: féminin

Bonjour,

Depuis que j'ai découvert votre site j'ai envie de vous faire part de mon problème. Je me lance.

En psychotérapie depuis 8 ans, j'ai d'abord fait du face à face, puis allongée sur le divan et depuis 2 ans, le mental et le corps ont été associés. Cette thérapie m'a montré que j'avais un corps, qu'il me posait de sérieux problèmes, que la relation avec l'autre et moi était pour moi très difficile et inexistante avant le début de cette thérapie. J'ai en deux ans progressé plus vite qu'en 4 ans de thérapie verbale mais quelque chose m'empêche d'aller au plus profond de moi.

Cette chose est la confiance en l'autre et en moi. Bien qu'ayant confiance dans mon thérapeute, une "petite voix" n'arrête pas d'interférer dans ma progression. Je précise que cette thérapie se fait avec l'aide du corps du thérapeute, sa main, son corps entier , le mien, quand je le demande uniquement.

Aucun geste de sa part, aucune parole de sa part ne me permet de penser qu'il abuse de moi. Il m'a, de son côté, un jour que je lui ai parlé de mes difficultés, dit que si je le souhaitais je pouvais aller voir un autre thérapeute pour discuter de ce qui se passait dans son cabinet. Je précise qu'il m'a toujours expliqué qu'il n'y aura jamais de relation sexuelle entre lui et moi et que ce qui se passe n'est que la relation saine d'un humain avec un autre humain (ce que je ressens profondément lors des séances).

Mais parfois des désirs, du plaisir, de la tendresse que je laisse s'exprimer me font culpabiliser une fois la séance terminée. J'ai l'impression de me retrouver dans la relation incestueuse que j'ai eu avec un membre de ma famille. Tout ce que je vous dis, je l'ai déjà expliqué à mon thérapeute et même à une femme thérapeute que je suis allée voir. Mais rien n'arrive à m'aider pour savoir si je peux avoir confiance dans le chemin que je choisis de prendre pour me sentir vivante.

Pouvez-vous me dire si cette thérapie peut aider quelqu'un qui a subi l'inceste,(j'ai deux pensées contradictoires) si elle peut se reconstruire grâce à cette thérapie et si je peux en toute confiance "lacher prise" et aller voir ce que corporellement veut dire plaisir, jouissance, désir sans culpabilité (mon thérapeute m'a toujours expliqué qu'il était là pour m'accompagner mais qu'en aucun cas il ne se servirait de moi pour son propre plaisir,(chose il est vrai que je n'ai jamais ressenti chez lui mais je n'avais pas senti ça non plus chez mon oncle)

Pouvez-vous m'indiquer où sont les limites du toucher dans ce genre de thérapie et à quel moment doit-on, en temps que patient, se poser la question du "dérapage" thérapeute-patient.

Si des ouvrages français existent sur cette thérapie pouvez-vous me les indiquer. Merci.

Bonjour Aquarelle,

Vous posez là une question très pertinente que bon nombre de psychothérapeutes pratiquant des thérapies à médiation corporelle se posent. Bon nombre de patients se posent aussi des questions identiques aux vôtres.

Je note deux aspects dans votre lettre : d'une part votre culpabilisation face aux désirs, au plaisir et à la tendresse, que vous exprimez pendant les séances et d'autre part votre réserve face aux touchers pratiqués par votre psychothérapeute.

Abordons d'abord la question de votre culpabilité. Je crois comprendre que vous avez été victime d'abus sexuels de la part de votre oncle. La majorité des victimes ressentent un sentiment de culpabilité . alors qu'elles ne sont, en fait, coupables de rien. Ceci semble être dû au facteur suivant : leur corps a servi d'objet de plaisir à l'agression et ce corps a été "chosifié". La jeune victime en arrive à haïr ce corps qui a "réussi" à attirer l'agresseur, ce corps qu'elle doit continuer à porter. Toute érotisation ultérieure colporte donc cette même première culpabilité : "Si je n'avais pas le corps que j'ai, mon oncle ne m'aurait pas touchée".

Votre psychothérapeute vous aidera à liquider cette vieille culpabilité en vous autorisant à devenir graduellement de plus en plus responsable de vos sensations et de votre plaisir.

Voyons maintenant l'aspect du risque de "dérapage" ou de "passage à l'acte sexuel". Quelles sont les limites du toucher dans ce genre de thérapie ? Voyons en premier quels sont les bénéfices de ces touchers pour le patient. Ceux-ci favorisent l'accès à la communication émotionnelle archaïque; ils maintiennent l'érotisation du corps dans des limites contenantes et contribuent donc à la renaissance de la vie psychique primale.

Les gestes du psychothérapeute peuvent faire naître un désir . pour le laisser ensuite en suspens. Ils agissent en instaurant une situation de séduction structurante qui permet de travailler sur les énergies les plus fondamentales et ainsi de remanier ce qui a été blessé.

Les touchers corporels ne permettent pas le déni : ils obligent à une conscience de la sensation à cause de la présence, très réelle, du psychothérapeute.

Ces touchers doivent bien évidemment s'exercer avec prudence et compétence. L'intention du psychothérapeute se doit d'être juste et intègre. L'ambiance a beau être tendre, il demeure une distance psychique de type non défensif : vous n'avez pas besoin d'être sur vos gardes car vous savez qu'il ne se passera rien de sexuel entre votre psychothérapeute et vous. Cette intention juste place les touchers corporels en psychothérapie dans une dimension éthique.

Je vous invite à lire les ouvrages suivants : - Le corps en psychothérapie, de W. Pasini et A. Andreoli, Ed. Payot et Rivages - Cultes du corps, de Eliane Perrin, Ed. P.M. Favre - Le toucher en psychothérapie, de Pascal Prayez, Ed. Hommes et Perspectives et Desclée de Brouwer Merci d'avoir attiré l'attention de nos lecteurs sur ce thème.

Bien à vous.

Georges-Henri Arenstein, Psychologue