Les mouvements ascétiques et moralisateurs qui ont engendré les grandes traditions religieuses du monde - le bouddhisme, l'islam, le judaïsme, l'hindouisme et le christianisme - ont surgi à peu près à la même époque dans trois régions différentes du monde.
Cette convergence culturelle, souvent appelée période axiale (dans le sens de pivot), présente une énigme: pourquoi a-t-elle émergé en même temps en religions moralisatrices distinctes, avec des caractéristiques très similaires, dans différentes civilisations?
Cette émergence s'expliquerait par une hausse du niveau de vie, selon un modèle développé par les auteurs d'une étude publiée dans la revue Current Biology.
"Il semble presque évident aujourd'hui que la religion concerne des préoccupations spirituelles et morales, mais ça n'a pas toujours été le cas
", explique Nicolas Baumard de l'Ecole Normale Supérieure de Paris. "Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs et au début des chefferies, par exemple, la tradition religieuse était axée sur les rituels, les offrandes sacrificielles, et les tabous visant à conjurer le mauvais sort et le mal
".
Ces changements sont survenus entre 500 et 300 AEC (Avant l'Ère Chrétienne) alors que de nouvelles doctrines sont apparues à 3 endroits en Eurasie.
Ces doctrines, écrivent les chercheurs, "mettent toutes l'accent sur la valeur de la 'transcendance personnelle', la notion que l'existence humaine a un but, distinct de la réussite matérielle, qui repose sur une existence morale et le contrôle de ses propres désirs matériels, à travers la modération (dans la nourriture, le sexe, l'ambition, etc.), l'ascétisme (le jeûne, l'abstinence, le détachement), et la compassion (aider, souffrir avec les autres).
"
Alors que de nombreux chercheurs ont fait valoir que les sociétés de grande envergure sont possibles et fonctionnent mieux grâce à la religion moralisante (hypothèse de la complexité politique), Baumard et ses collègues (1) n'en étaient pas si sûr. Après tout, explique le chercheur, certains des anciens empires les plus prospères avaient tous des dieux non-moraux. "Pensez, dit-il, à l'Egypte, l'Empire romain, les Aztèques, les Incas et les Mayas.
"
Dans cette étude, ils ont testé diverses théories en combinant la modélisation statistique et des théories psychologiques basées sur des approches expérimentales.
Ils ont conclu que la richesse (le développement économique) - ce qu'ils appellent la capture d'énergie - explique le mieux ce qui est connu de l'histoire religieuse, et non pas la complexité politique ou la taille de la population.
Leur modèle montre une nette transition vers les religions moralisatrices lorsque les individus recevaient 2000 calories par jour, un niveau d'abondance suggérant que les gens étaient généralement en sécurité, avaient des toits sur la tête et beaucoup de nourriture, à la fois dans le présent et dans un avenir prévisible.
"Cela nous semble très élémentaire aujourd'hui, mais cette tranquillité d'esprit était totalement nouvelle à l'époque
", souligne Baumard. "Les êtres humains vivant dans les sociétés tribales ou même dans les empires archaïques connaissaient souvent la famine et les maladies, et ils vivaient dans des maisons très rudimentaires. Par contraste, la forte augmentation de la population et l'urbanisation dans la période axiale suggère que, pour certaines personnes, les choses commençaient à aller beaucoup mieux.
"
Cette transition, disent les chercheurs, est compatible avec un passage de stratégies de vie "rapides", portant sur les problèmes immédiats (acquisition de ressources et interactions coercitives), à celles axées sur les investissements à long terme (techniques d'auto-contrôle et interactions coopératives).
Il sera maintenant intéressant, disent les chercheurs, de tester si d'autres caractéristiques familières de la société humaine moderne, telles que le grand investissement parental et la monogamie à long terme, pourraient avoir le même changement historique comme origine.
(1) Alexandre Hyafil de l'Ecole Normale Supérieure (Paris), Ian Morris de l'Université Stanford et Pascal Boyer du département de psychologie de l'Université Washington et de l'Université de Lyon.
Psychomédia avec sources: Cell Press, Current Biology (résumé), Current Biology (article)
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