"A chaque modèle de famille, ses psychopathologies."
"La Société européenne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent tient son 12e congrès à Paris. A cette occasion, Alain Lazartigues, professeur de pédopsychiatrique au CHU de Brest, a décrit l'impact des nouvelles structures familiales sur les psychopathologies développées par les mineurs.
tf1.fr : Vous évoquez les "nouvelles familles". De quoi s'agit-il ?
Alain Lazartigues : Jusqu'aux années soixante, le modèle dominant était celui de la "famille moderne". L'homme et la femme se choisissent puis se marient, créant ainsi une famille, et ont des enfants. La famille est organisée autour de l'autorité du père. La valeur centrale, qui est une émanation de la société, est le devoir.
Dans les années 68-70, s'est répandu le modèle de la "famille contemporaine". Il marque l'arrivée de la précarité dans le couple : les parents se choisissent et ne se marient pas, ou pas tout de suite - plus d'un premier enfant sur deux naît hors mariage.
Pour apprendre à leurs enfants les limites imposées par la société, les parents se déchargent sur l'école. Or, la culture de l'école, qui est fondée sur l'autorité et le devoir, n'est plus en phase avec celle de la société "contemporaine". En cas de conflit à l'école, la famille soutient d'ailleurs l'enfant contre l'institution.
tf1.fr : Quelles sont les conséquences de cette recomposition du foyer pour l'enfant ?
A. L. : A chaque modèle de famille, ses psychopathologies. Dans la famille "moderne", quand tout fonctionne bien, l'individu a un comportement relativement inhibé, notamment lorsqu'il s'agit des désirs. Il développe un sentiment de culpabilité lorsqu'il veut faire des choses interdites. Ses idéaux sont socialisés ou atteignables ; par exemple : l'enfant rêve de devenir pompier ou infirmière. Quand cela va mal, l'individu développe des troubles névrotiques : anxiété, hystérie, obsessions...
La société actuelle construit de nouvelles personnalités de base qui permettent l'accès au désir sans culpabilité. En découlent des pathologies davantage du registre de la dépression, de l'intolérance à la frustration, à la séparation... Ces pathologies sont orientées vers la recherche de sensations - drogues, alcool, hyperactivité - sur fond d'individualisme. Ce qui pose des problèmes pour nous autres professionnels de santé.
tf1.fr : Lesquels ?
A. L. : Les traitements proposés pour les névroses ne sont plus adaptés. Par ailleurs, les patients ne supportent pas les traitements de longue durée : ils veulent une résolution rapide de leurs problèmes sans chercher à en comprendre l'origine. D'où le recours aux antidépresseurs et aux thérapies cognitives et/ou comportementales. Dans le cadre de ces traitements, on prend davantage en compte la famille ; on discute pour essayer de faire évoluer les comportements. Mais le médecin ne représente plus une autorité, il se situe désormais dans un rapport de prestataire de services.
tf1.fr : La famille contemporaine deviendra-t-elle le modèle dominant ?
A. L. : C'est la grande question. Le point essentiel tient au rôle des médias et de la publicité, qui sont de plus en plus présents à la maison et de moins en moins contrôlés par les parents. Ils sont structurés par les besoins économiques des multinationales et reposent sur l'apologie de la consommation, de l'hédonisme. Il est important que les parents puissent en discuter avec leurs enfants."
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