Réponse à: JOBLETTE (conjoint soupçonné d'abus sexuel)

Surnom: JOBLETTE
Pays: Canada
Âge: 35
Sexe: féminin

Il y a environ un an, mon conjoint a été accusé d'avoir agressé sexuellement le fils d'une de mes amies (4 ans) .

D'après la travailleuse sociale que nous avons rencontrée, l'enfant aurait dit clairement qu'il avait été agressé par mon conjoint, et qu'elle n'avait pas de raison de douter de sa parole, parce qu'un enfant de cet âge ne peut mentir .

J'ai 3 enfants en bas de 6 ans que la travailleuse sociale a rencontré elle n'a décelé aucun signe d'abus sexuel, et je n'en voit pas non plus . Une plainte avait aussi été faite du côté judiciaire, mais a été rejetée parce que outre l'histoire dite par l'enfant, aucun autre élément n'avait été trouvé permettant de soupçonner mon conjoint d'abus sexuel.

Nous avons aussi parlé de cette histoire à d'autres amis qui ont aussi des enfants et que nous fréquentons souvent . Aucun d'eux n'y accorde de crédit et ils continuent de fréquenter mon conjoint sans craindre pour leurs enfants.

De mon côté, je ne crois pas non plus que mon conjoint est vraiment abusé de cet enfant . Cependant, comme nous restons dans la même ville que cet enfant, et que ma fille a le même âge, cette histoire est difficile à oublier et j'ai quelques questions :

- Un enfant de moins de 5 ans pourrait-il être abusé par une personne proche de lui, et raconter l'histoire en changeant le nom de l'abuseur parce que c'est moins menaçant pour lui ?

- Est-il possible que quelqu'un abuse d'un seul enfant et n'abuse jamais de ses propres enfants ou de d'autres enfants ?

- Est-ce vrai qu'un enfant de 3 ou 4 ans ne peut pas mentir ? Personnellement, je crois plutôt qu'il ne ment pas volontairement, parce qu'il croit à ce qu'il dit, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il dit la vérité !

- Nous n'avons jamais pu parler aux parents de l'enfant de cette histoire. Tous les intervenants que nous avons rencontrés nous l'ont déconseillé . Nous avons cependant l'impression que si on pouvait discuter avec eux, on arriverait peut-être à clarifier les choses J'aimerais cependant le faire en présence d'une personne neutre (sorte de médiateur) . Qu'en pensez-vous, et est-ce qu'un tel service de médiation existe ?

Merci en avance,

Joblette.

Bonjour Joblette,

L'histoire que vous décrivez et les questions que vous posez n'entraînent pas de réponse simple (sauf pour les deux premières). Je vais essayer d'apporter quelques clarifications qui, je l'espère, vous seront utiles.

1. Un enfant de moins de cinq ans pourrait-il être abusé par une personne proche de lui et puis raconter son histoire en changeant le nom de l'abuseur ?

Oui, c'est possible. Soit par manipulation de l'auteur des sévices sexuels, soit par crainte de nuire à quelqu'un de proche, un enfant peut changer le nom de l'auteur de l'agression ainsi que quelques autres détails. Pour l'adulte, l'auteur de l'agression est un élément central, mais un enfant peut concevoir le nom de l'auteur de l'agression comme étant un détail périphérique.

2. Est-il possible que quelqu'un abuse d'un seul enfant et qu'il n'abuse pas d'autres enfants ?

Oui, c'est possible. Certains agresseurs font une sorte de fixation sur un enfant ou tombent secrètement amoureux de lui. Ils abusent donc de cet enfant-là et d'aucun autre. Du moins pour un certain temps.

3. Un enfant de trois ou quatre ans peut-il mentir ?

C'est le mot mentir qui prête à confusion. La réponse à cette question est délicate.

Toute forme d'enquête (travailleuse sociale, policier, etc.) provoque chez l'enfant un stress et une confusion à tel point que la qualité de ce qu'il rapporte risque d'en être fortement affectée. Un enfant stressé, apeuré, confus, devient hautement vulnérable à la suggestion. Il cherchera à plaire à l'adulte en disant ce que celui-ci semble vouloir entendre; il peut aussi se rétracter ou dire qu'il a tout oublié s'il devine qu'il vient de nuire à quelqu'un qu'il aime.

Les verbalisations de l'enfant sur un sévice sexuel dépendent beaucoup de la manière selon laquelle il est interrogé. Et il n'est pas facile d'éviter les questions ou les attitudes suggestives.

De plus, entre un événement particulier, le dévoilement de cet événement, et le premier interrogatoire, il s'est passé un certain laps de temps : plusieurs mois ou davantage. Pendant cette période, un grand nombre d'événements de la vie quotidienne vont venir saboter la cohérence de la narration de l'enfant. (ce qui n'est pas le cas pour un adulte, davantage apte à distinguer l'essentiel de l'accessoire)

Habituellement, on peut dire que les enfants à partir de l'âge de trois ans font bien la distinction entre la fantaisie et la réalité (travaux de Morison & Gardner, 1978) avec cette réserve : les jeunes enfants ajoutent parfois quelques détails fictifs provenant de l'imaginaire. En effet, les enfants de ce âge (trois et quatre ans) ne comprennent pas l'importance de ne rapporter que ce qui s'est réellement passé. Pour eux les ajouts créateurs embellissent le récit et font partie de la réalité. Mais il s'agit le plus souvent de détails périphériques. Les travaux de Lindsay & Johnson, 1987 concluent que c'est plutôt à partir de six ans que l'enfant distingue fantaisie et réalité autant que l'adulte, avec, aussi, cette réserve : l'enfant peut confondre ce qu'il a réellement fait ou subi avec ce qu'il s'est imaginé avoir fait ou subi.

On sait aussi que lorsque l'enfant ne comprend pas trop bien ce qui se passe (un interrogatoire) il aura tendance à se construire une histoire à partir d'éléments qui lui viennent de partout : à partir de faits épars, il peut construire une histoire qui fait sens pour lui, mais qui est empruntée à plusieurs sources (H. Van Gijseghem, 1992).

Il arrive que certains enfants produisent des verbalisations spontanées de touchers sexuels. Il peut arriver que l'enfant «teste» son environnement par de tels propos si habituellement il n'est pas cru; il «crie» donc quelque chose de gros dans le but d'être enfin cru. C'est un gros piège, car s'il n'est pas cru, cela le confirme dans sa croyance que ses dires ne sont pas importants et s'il est cru il se fait prendre à sa propre histoire et finit par devenir convaincu de la chose elle-même. Toute nouvelle invitation à raconter est interprétée par l'enfant comme une confirmation qu'il n'a pas été cru la fois précédente, d'où la naissance de nouveaux détails périphériques (parfois très plausibles ou réalistes) qui enjolivent le récit et contribuent à lui donner une plus grande crédibilité.

Selon les recherches, le pourcentage des fausses allégations de sévices sexuels varie énormément : 6 % selon Sabid & Roda (1978) 7 % selon le Denver Sexual Abuse Clinic, Jones & McGraw (1987) 28 % selon Jones & Seig (1988) 36 % selon Green (1986) 38 % selon Guyer & Ash (1986) 55 % selon Benedek & Schetky (1986)

Vous voyez que «mentir» pour un enfant, ce n'est pas comme «mentir» pour un adulte.

Finalement, vous nous dites que vous souhaitez parler aux parents de l'enfant de cette histoire. Mais eux, le désirent-ils ? Il est logique que les intervenants vous aient priés de ne pas rencontrer les parents de l'enfant pendant l'enquête. Mais maintenant, peut-être que ce serait possible. La personne neutre dont vous parlez serait idéalement un psychologue bien au fait de cette problématique et qui faciliterait le processus de communication afin qu'il ne subsiste plus de non-dits entre vous.

Une partie de la crédibilité de cette histoire repose aussi sur certains facteurs dont votre lettre ne fait pas mention. Qui a dévoilé l'abus, ou l'allégation d'abus en premier ? La petite fille de quatre ans elle-même ? Son père ? Sa mère ? Un grand frère ou une grande s ur ? Et combien de fois la petite fille a-t-elle raconté sa version avant de la raconter à la travailleuse sociale ? Ces facteurs peuvent venir modifier la crédibilité de la fillette.

Enfin, j'espère avoir pu vous éclairer quelque peu sur cette problématique en général il va sans dire que je ne peux pas rentrer plus en profondeur dans l'analyse de votre situation particulière.

Bonne chance, Joblette !

Georges-Henri Arenstein, Psychologue