Depuis janvier 2005, l’organisme sans but lucratif Le Mûrier offre des ateliers d’éducation à la vie sociale et sexuelle à ses jeunes adultes atteints de schizophrénie habitant le foyer de groupe transitoire De Carignan à Montréal. Deux intervenantes de cet organisme, Caroline Chaussée, sexologue, et moi, France Desjardins, coordonnatrice du projet, conceptrice du programme et étudiante de 3e année au baccalauréat à l’École de criminologie de l’Université de Montréal animent une série de quinze ateliers. Dans le cadre de ce programme, plusieurs thèmes touchant les relations intimes et sexuelles dans un contexte social seront abordés, tels la séduction, les différences entre l’amitié et l’amour, la communication dans le couple, l’intimité, l’égalité dans le couple, le respect dans une relation amoureuse, l’anatomie, la contraception, la réponse sexuelle, la masturbation, le cycle menstruel, les dysfonctions sexuelles et l’industrie du sexe. Par ailleurs, ce projet est également réalisé dans le cadre d’une recherche visant à connaître l’impact d’un tel programme sur les participants tout en permettant de cerner plus précisément les besoins en matière de vie sexuelle chez les personnes atteintes de schizophrénie.
1) recevoir un entraînement aux comportements socioculturels dans le but de favoriser leur intégration sociale ;
2) accéder à toutes les connaissances sexuelles qu’elles sont en mesure de comprendre ;
3) aimer et être aimée par une personne du sexe opposé, incluant l’accomplissement sexuel;
4) exprimer ses pulsions sexuelles selon les formes socialement acceptées ;
5) obtenir des services de planification des naissances appropriés à ses besoins ;
6) se marier ;
7) participer à la décision d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant
8) recevoir des services de soutien lorsque ceux-ci s’avèrent nécessaires à l’expression des
précédents droits. Selon Kempton, le fait de possède des connaissances sexuelles suffisantes, ainsi qu’un fonctionnement socio sexuel adéquat seraient des facteurs de prévention, de réadaptation et de rémission qui, par la même occasion, permettraient de prévenir les arrestations ou la (les) réinstitutionnalisation(s), lesquelles sont souvent causées par des comportements socio sexuels inadéquats . De plus, selon Hodgins et Gaston (1987), la vie dans la communauté est une source continuelle d’événements stressants pour les jeunes adultes atteints de troubles mentaux graves . Anthony et Liberman (1986) ajoutent que ces événements conjugués à leur vulnérabilité biopsychologique, leurs déficits, leur détérioration et leurs handicaps reliés à leur maladie constituent des sources de stress supplémentaires qui influencent négativement leur état de santé. De plus, les événements stressants importants peuvent faire apparaître des symptômes positifs, comme le désordre de la pensée et du langage, des délires, des hallucinations, de l’anxiété, des pertes de concentration et de mémoire . Selon Liberman (1983), les problèmes de la vie quotidienne vécus par les malades mentaux chroniques viennent en grande partie de leur incapacité à exprimer leurs sentiments ou a communiquer avec les autres ce qu’ils désirent et ce qu’ils leur tiennent à coeur. La communication interpersonnelle est l’une de nos capacités humaines les plus essentielles et les patients manquant d’habiletés sociales sont privés de relations satisfaisantes avec les autres. De ce fait, ils se sentent brimés, solitaires, frustrés, déprimés et isolés .
Dans cette optique, notre programme d’éducation à la vie sociale et sexuelle vise les différents aspects de la vie au quotidien avec les émotions et les perceptions que l’environnement peut produire sur la personne. Le programme vise plusieurs objectifs et il a été basé sur les buts d’un guide d’éducation sexuelle développé par George et Behrendt (1985) :
a) augmenter la connaissance et le confort de la sexualité des participants ;
b) aider les participants à identifier et clarifier leurs valeurs et attitudes sur la sexualité ;
c) aider les participants à acquérir l’habileté pour prendre des décisions en lien avec la sexualité ;
d) surmonter les difficultés reliées aux dysfonctions sexuelles versus les médicaments ;
e) prévenir la détérioration de leur fonctionnement sexuel ;
f) améliorer leurs habiletés à l’intimité.
De plus, ce programme s’est aussi inspiré des objectifs d’un programme d’éducation à la vie affective, amoureuse et sexuelle pour des personnes présentant des incapacités intellectuelles modérées de Desaulniers, M.P. et coll. (2001) .
Les finalités sont aussi :
a) l’information ; b) l’éducation : face à la responsabilisation de la personne en regard à sa sexualité, le respect de soi et de l’autre, l’intimité et l’engagement ;
c) l’accompagnement : individualiser notre intervention afin de respecter le rythme et la personnalité de chacun ;
d) prévention : autant de l’agression que de la victimisation.
Pour ce qui est de l’animation des ateliers, les animatrices utiliseront une approche intégrative d’après R. Tremblay (2001). Cette approche positive ne cherche pas à éliminer le danger que représente la sexualité : elle conduit à la réflexion, fait prendre conscience que chaque choix que la personne fait comporte des risques. Les participants peuvent partager leurs difficultés à faire des choix nous pensons donc que cette technique d’animation présente une dynamique efficace. Pour finir, cette approche est recommandée pour l’éducation à l’autonomie, la responsabilité puisqu’elle englobe le savoir, le savoir-être et le savoir-faire dans un dialogue continuel entre les animatrices et les participants . La sexualité est un concept mouvant et en changement continuel, ce projet veut encourager le dialogue pour accompagner les réflexions entreprises par chacun des participants.
Description de l’organisme sans but lucratif Le Mûrier :
Le Mûrier a été fondé en 1985 par des citoyens préoccupés par la désinstitutionalisation de l’Hôpital psychiatrique Louis-H Lafontaine. Cet organisme gère des services d’hébergement spécialisés tel que des foyers de groupe, des appartements supervisés et des services d’enrichissement socioprofessionnels. Leur mission consiste à offrir des programmes et des services aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale grave. Ceci permet de répondre à leurs besoins d’hébergement, d’éducation et de réhabilitation pour faciliter leur intégration sociale et leur maintien en communauté. Les intervenants visent la normalisation et la socialisation des bénéficiaires pour qu’ils puissent s’épanouir et profiter au maximum des différents aspects de la vie en société. Plusieurs principes d’intervention soutiennent les différentes approches adoptées par l’organisme. Premièrement, il y a le principe d’"empowerment" qui découle de l’approche féministe , l’organisme souhaite que les résidants prennent les décisions qui affectent leur vie dans la mesure du possible pour qu’ils puissent reprendre du pouvoir sur leur vie. Deuxièmement, il y a l’approche écosystémique de Bronfenbrenner qui veut que la personne soit au centre de différents systèmes. Les intervenants travaillent en partenariat avec les différents services, comme les travailleurs sociaux, les psychiatres et tous les autres spécialistes gravitant autour des personnes atteintes d’un problème de santé mentale. Les personnes hébergées sont également en contact avec les différents services de la communauté. Troisièmement, l’approche cognitivo-comportementale a une grande influence sur l’intervention auprès des personnes atteintes de schizophrénie paranoïde grâce aux différentes répercussions positives qu’elle peut avoir, plus particulièrement sur la diminution des fausses croyances que ces gens créent à partir d’une structure cognitive de la peur. De ce fait, deux résultats découlent de cette approche, soit la diminution de l’anxiété et l’augmentation des comportements pro sociaux grâce au conditionnement de nouvelles informations. Pour terminer, l’organisme favorise les moments de groupe pour stimuler et expérimenter les habiletés sociales, développer des moyens pour gérer les émotions et contrer l’isolement. C’est à travers ces principes que le projet d’éducation à la vie sociale et sexuelle est né.
Description du foyer groupe de transition De Carignan :
Le foyer groupe de transition De Carignan, fondé en 1988, est un milieu d’évaluation et favorise le développement des habiletés sociales des personne hébergées afin qu’elles puissent être orientées vers des ressources adaptées à leurs besoins. Il peut contenir jusqu’à neuf résidants et offre un encadrement individualisé. Il arrive fréquemment que la clientèle présente des comportements problématiques tels que la consommation d’alcool et/ou de drogue, des difficultés assez marquées à entrer en relation avec les pairs, des difficultés relationnelles avec leurs parents, des difficultés à organiser leur vie quotidienne, une présence marquée d’immaturité et d’intolérance ou ils acceptent mal l’encadrement. Ce sont de jeunes adultes âgés entre 20 et 30 ans.
Description de la maladie la plus présente chez les participants aux ateliers d’éducation à la vie sociale et sexuelle :
Selon le DSM IV, “les symptômes caractéristiques de la schizophrénie impliquent une série de dysfonctionnements cognitifs et émotionnels qui incluent la perception, la pensée déductive, le langage et la communication, le contrôle comportemental, l’affect, la fluence et la productivité de la pensée et du discours, la capacité hédoniste, la volonté et le dynamisme et l’attention” . Le début de la maladie peut être brusque ou insidieux. Le développement peut être lent et graduel avec des signes et des symptômes variés, tels le retrait social, la perte d’intérêt pour l’école/travail, la détérioration de l’hygiène et de la présentation, des comportements inhabituels et des excès de colère. La schizophrénie paranoïde est la plus fréquente de ces différentes manifestations. La personne atteinte de schizophrénie paranoïde est caractérisée par des idées délirantes envahissantes et des hallucinations à contenu de persécution ou de grandeur, la croyance d’une mission spéciale, des états interprétatifs et une perception d’une variété de dangers. Avant la prise de neuroleptiques, ils sont querelleurs, agressifs, se sentent menacés et attaqués par diverses remarques ou attitudes de leur entourage .
Conclusion :
La sexualité fait partie des besoins de tout être humain qu’il soit malade ou non. Malheureusement, même à l’aube du XXIe siècle, la sexualité est entourée encore de tabous et d’interdits dans plusieurs sociétés du monde. Le Mûrier préoccupé par la diffusion d’information reliée à la vie sociale et sexuelle des personnes qu’elle désert. Dans le cadre de mon projet en collaboration avec cet organisme, nous offrons la possibilité de favoriser le dialogue et la réflexion sur les choix que les résidants ont à faire en lien avec leur santé sexuelle. À Montréal, deux centres de jour en santé mentale, l’Alternative et Pracom, offrent aussi des ateliers d’éducation à la sexualité à des gens ayant des problèmes de santé mentale, vivant dans la communauté. À mon avis, il serait temps de permettre aux personnes ayant des déficits de vivre leur sexualité de manière adéquate et de les accompagner dans leurs choix.
France Desjardins, coordonnatrice et chercheuse pour le projet
Bibliographie :
American Psychiatric Association (1995). Manuel diagnotic et statistique des troubles mentaux, version Internationale. Washington DC, Édition Masson, Paris, Milan, Barcelon.
Anthony, W.A., Liberman, R.P. (1986). The practice of Psychiatric Rehabilitation : Historical, Conceptual, and Research Base, Schizophrenia Bulletin, 12 (4); 542-559.
Bronfenbrenner, Urie (1979). The ecology of human development : experiments by nature and design. Cambrige, Mass : Havard University Press.
Christine Corbeil et coll (1983). L'Intervention féministe : l'alternative des femmes au sexisme en thérapie. Éditions Coopératives A. St-Martin.
Desaulniers, M.P., Boucher C., Voyer J., Boutet M. (2001) Programme d’éducation à la vie affective, amoureuse et sexuelle pour des personnes présentant des incapacités intellectuelles modérées. Centre de Service en déficience intellectuelle Mauricie-Centre du Québec, Trois-Rivières.
Hodgins, S., Gaston, L. (1987). Composantes d’efficacité des programmes de traitement communautaires destinés aux personnes souffrant de désordres mentaux, Santé mentale au Québec, 12 ; 124-134
Kempton, W. (1977). The sexual adolescent who is mentally retarded. Journal of Pediatric Psychology, 2(3). Philadelphia : Duxbury Press.
Lalonde P. et coll. (1995). Les maladies mentale : la schizophrénie, Édition Gaétan Morin.
Lecomte, T et Leclerc C. (2004) Manuel de réadaptation psychiatrique. Presses de l’Université du Québec.
Liberman, RP, Foy DW (1983): Psychiatric rehabilitation for chronic mental patients. Psychiatric Annals, 13 : 539-545
Liberman RP (1992). Handbook of psychiatric rehabilitation, Éditions Maxwell Macmillan Canada.
Maslow Abraham (1972). Vers une psychologie de l’être, Éditions Paris Fayard
Tremblay R.(2001) et coll.. Guide d’éducation sexuelle à l’usage des professionnels, tome 2 : la personne handicapée mentale. Éditions Ères.
Vallerand R (1994). Les fondements de la psychologie sociale, Éditions