Les experts en science politique ne sont pas de bons prévisionnistes, rapportait Jacqueline Steven, professeur de science politique à l'Université Northwestern dans le New York Times en 2012. Par exemple, rapportait-elle, selon des études du chercheur en psychologie Philip Tetlock de l'Université de Pennsylvanie, leurs prévisions s'avèrent à peine mieux que le hasard.
Inspiré en partie par les études de Tetlock, le US Intelligence Advanced Research Projects Activity (IARPA), une entité dépendante des services secrets américains, a financé un projet de 4 ans, appelé Projet bon jugement ("Good Judgement Project").
Le projet vise à trouver de nouvelles approches pour parvenir à de meilleures prévisions politiques en "exploitant la sagesse de la foule pour prédire les événements mondiaux
".
Prenant la forme d'un tournoi, le projet a recruté environ 3000 participants d'horizons divers afin de tester leurs compétences de prévision au moyen de questions telles que "Est-ce que Robert Mugabe cessera d'être président du Zimbabwe le 30 Septembre 2011?" ou "Est-ce que la Grèce restera membre de l'Union européenne après le 1er Juin 2012?. Cinq groupes universitaires sont en compétition dont une équipe formée par Tetlock et ses collègues.
Après 3 ans, cette équipe vient de publier ses premiers résultats dans la revue Psychological Science.
L'un des principaux objectifs était de voir si certains prévisionnistes étaient plus performants de façon consistante. Après un an, les 2% des 2000 volontaires dont les performances étaient les meilleures (les "super prévisionnistes") ont été réunis pour travailler en équipe pour la suite de l'étude. Ils partageaient leurs informations et discutaient les raisonnements qui sous-tendaient leurs croyances. À la fin de la deuxième année, leurs prédictions étaient 4 fois plus précises que celles des autres participants. Le groupe démontre une capacité de plus en plus grande de faire des prédictions exactes.
Les meilleurs prévisionnistes partageaient certaines caractéristiques, rapporte David Robson, journaliste de la BBC:
Comme attendu, ils ont tendance à obtenir de meilleurs scores à des tests d'intelligence que les autres participants.
Mais ils partagent tous un autre trait : l'ouverture d'esprit qui reflète la façon de composer avec l'incertitude ou l’ambiguïté. Les gens ouverts d'esprit ont tendance à être capables de considérer les problèmes de tous les angles, ce qui semble aider les prévisionnistes à surmonter leurs préjugés à la lumière de nouveaux éléments. "
Vous devez changer d'avis rapidement et souvent
", dit Tetlock.Un autre trait de la prévision efficace est la conscience de soi, c'est-à-dire la compréhension de ses propres biais cognitifs. Même les prévisionnistes experts peuvent tomber dans certains pièges. Tetlock et ses collègues ont ainsi testé si une formation simple d'une heure pouvait aider à éviter les erreurs les plus courantes. Les volontaires étaient encouragés à tenir compte de certains principes des probabilités afin de corriger des biais cognitifs, à utiliser des exemples de référence et des heuristiques telles que faire une moyenne lorsque de multiples estimés étaient disponibles. Trop souvent, rapporte Tetlock, les volontaires commencent en considérant une "vue de l'intérieur" d'un problème; en considérant si Mugabe restera au pouvoir, par exemple, ils peuvnet ainsi commencer par la recherche de mesures des troubles dans le pays. Pourtant, la recherche suggère que l'on peut parvenir à des prévisions plus précises en regardant simplement les données historiques passées. Ainsi, dans le cas de Mugabe, ils pourraient considérer combien de temps un dictateur s'accroche au pouvoir en moyenne, afin d'affiner leur estimation. D'autres stratégies visaient à réduire des biais cognitifs connus : par exemple, se rappeler la tendance à surestimer la probabilité d'événements effrayants; considérer les deux cas du pire et du meilleur scénarios, ce qui ouvre l'esprit à toute la gamme de possibilités et contribue à remettre en question les hypothèses de base sur l'événement. Des tactiques qui peuvent sembler évidentes mais qui sont facilement oubliées.
Pour ce qui est du travail d'équipe, alors que des risques sont de devenir des "yes men" qui renforcent les préjugés les uns des autres (ce qui devient la "folie des foules"), l'équipe de chercheurs a montré qu'avec un entraînement pour être critique et répondre positivement aux points de vue alternatifs, les participants ont atteint les meilleurs résultats quand ils étaient autorisés à coopérer plus activement.
L'équipe espère que ces découvertes puissent changer la façon dont les gouvernements prennent des décisions. Elles pourraient également contribuer à mettre en évidence des moyens utiles à tous pour stimuler les compétences de prévision dans la vie quotidienne, souligne Robson.
Besoin de prendre une décision importante au sujet de votre avenir? Composez avec l'incertitude et identifiez vos préjugés, conclut-il.
Psychomédia avec sources: New York Times, BBC, Psychological Science, The Good Jugement Project
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